nt de designer les victimes;
mais on s'en doutait a leur insolence, aux preferences qu'ils obtenaient
des geoliers, aux orgies qu'ils faisaient dans les guichets avec les agens
de la police. Souvent ils laissaient connaitre leur importance pour en
trafiquer. Ils etaient caresses, implores par les prisonniers tremblans;
ils recevaient meme des sommes pour ne pas mettre un nom sur leur liste.
Ils faisaient leurs choix au hasard; ils disaient de celui-ci qu'il avait
tenu un propos aristocrate; de celui-la, qu'il avait bu un jour ou l'on
annoncait une defaite des armees; et leur seule designation equivalait a un
arret de mort. On portait les noms fournis par eux sur autant d'actes
d'accusation, et on venait le soir signifier ces actes aux prisonniers, et
les traduire a la Conciergerie. Cela s'appelait dans la langue des geoliers
_le journal du soir_. Quand ces infortunes entendaient le roulement des
tombereaux qui venaient les chercher, ils etaient dans une anxiete aussi
cruelle que la mort; ils accouraient aux guichets, se collaient contre les
grilles pour ecouter la liste, et tremblaient d'entendre leur nom dans la
bouche des huissiers. Quand ils avaient ete nommes, ils embrassaient leurs
compagnons d'infortune, et recevaient les adieux de mort. Souvent on voyait
les separations les plus douloureuses: c'etait un pere qui se detachait de
ses enfans, un epoux de son epouse. Ceux qui survivaient etaient aussi
malheureux que ceux que l'on conduisait a la caverne de Fouquier-Tinville;
ils rentraient en attendant d'etre promptement reunis a leurs proches.
Quand ce funeste appel etait acheve, les prisons respiraient, mais jusqu'au
lendemain seulement. Alors les angoisses recommencaient de nouveau, et le
funeste roulement des charrettes ramenait la terreur.
[Note 7: Voyez pour tous ces details le long proces de Fouquier-Tinville.]
Cependant la pitie publique commencait a eclater d'une maniere inquietante
pour les exterminateurs. Les marchands de la rue Saint-Honore, ou passaient
tous les jours les charrettes, fermaient leurs boutiques. Pour priver les
victimes de ces temoignages de douleur, on transporta l'echafaud a la
barriere du Trone, et on ne rencontra pas moins de pitie dans ce quartier
des ouvriers que dans les rues les mieux habitees de Paris. Le peuple, dans
un moment d'enivrement, peut devenir impitoyable pour des victimes qu'il
egorge lui-meme; mais voir expirer chaque jour cinquante et soixante
malheureux, contre les
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