ant l'espece de delire de son
accusateur public, l'envoya chercher, lui ordonna de faire enlever
l'echafaud de la salle ou il etait dresse, et lui defendit de traduire plus
de soixante individus a la fois. _Tu veux donc_, lui dit Collot-d'Herbois
dans un transport de colere, _demoraliser le supplice?_ Il faut cependant
remarquer que Fouquier a pretendu le contraire, et soutenu que c'etait lui
qui avait demande le jugement des cent soixante en trois fois. Cependant
tout prouve que c'est le comite qui fut moins extravagant que son ministre,
et qui reprima son delire. Il fallut renouveler une seconde fois a
Fouquier-Tinville l'ordre d'enlever la guillotine de la salle du tribunal.
Les cent soixante furent partages en trois troupes, juges et executes en
trois jours. La procedure etait devenue aussi expeditive et aussi affreuse
que celle qui s'employait dans le guichet de l'Abbaye dans les nuits des 2
et 3 septembre. Les charrettes, commandees pour tous les jours, attendaient
des le matin dans la cour du Palais-de-Justice, et les accuses pouvaient
les voir en montant au tribunal. Le president Dumas, siegeant comme un
furieux, avait deux pistolets sur la table. Il demandait aux accuses leur
nom seulement, et y ajoutait a peine une question fort generale. Dans
l'interrogatoire des cent soixante, le president dit a l'un d'eux, Dorival:
Connaissez-vous la conspiration?--Non.--Je m'attendais que vous feriez
cette reponse, mais elle ne reussira pas. A un autre. Il s'adresse au nomme
Champigny: N'etes-vous pas ex-noble?--Oui.--A un autre. A Guedreville:
Etes-vous pretre?--Oui, mais j'ai prete le serment.--Vous n'avez plus la
parole. A un autre. Au nomme Menil: N'etiez-vous pas domestique de
l'ex-constituant Menou?--Oui.--A un autre. Au nomme Vely: N'etiez-vous pas
architecte de Madame?--Oui, mais j'ai ete disgracie en 1788.--A un autre. A
Gondrecourt: N'avez-vous pas votre beau-pere au Luxembourg?--Oui.--A un
autre. A Durfort: N'etiez-vous pas garde-du-corps?--Oui, mais j'ai ete
licencie en 1789.--A un autre.
C'est ainsi que s'instruisait le proces de ces malheureux. La loi portait
qu'on ne serait dispense de faire entendre des temoins que lorsqu'il y
aurait des preuves materielles ou morales; neanmoins on n'en faisait jamais
appeler, pretendant toujours qu'il existait des preuves de cette espece.
Les jures ne se donnaient pas meme la peine de rentrer dans la salle du
conseil. Ils opinaient a l'audience meme, et le jugement etait
|