ut ce que le Ciel a fait pour vous,
et que vous songiez a autre chose qu'a la Grece sauvee?" Ainsi au poete
melancolique, delicat, pur, eleve, noble, mais un peu desabuse, parlait
l'ardent poete avec grandeur.
Ces paroles, tombant dans les heures fecondes du malheur, faisaient une
vive et salutaire impression sur Fontanes, et, durant le reste de sa
proscription, on le voit tout occupe de son monument. Son imagination se
passionnait en ces moments extremes; il ressaisissait en idee la gloire.
Il quitta l'Angleterre pour Amsterdam, revint a Hambourg, sejourna a
Francfort-sur-le-Mein; ses lettres d'alors peignent plus vivement son
ame a nu et ses gouts, du fond de la detresse. Il manquait des livres
necessaires, n'avait pour compagnon qu'un petit Virgile qu'il avait
achete pres de la Bourse, a Amsterdam; il lui arrivait de rencontrer
chez d'honnetes fermiers du Holstein les _Contes moraux_ de Marmontel,
mais il n'avait pu trouver un Plutarque dans toute la ville de Hambourg
(que n'allait-il tout droit a Klopstock?); et dans ces pays ou son genre
d'etudes etait peu goute, il s'estimait comme Ovide au milieu d'une
terre barbare. Tant de souffrance etait peu propre a le reconcilier avec
l'Allemagne. A travers les mille angoisses, il travaillait a sa _Grece
sauvee_, et, comme il l'ecrit, _s'y jetait a corps perdu_. Enviant le
sort de Lacretelle et de La Harpe, qui du moins vivaient caches en
France (et La Harpe l'avait ete quelque temps chez madame de Fontanes
meme), il songeait impatiemment a rentrer: "Je viens de lire une partie
du decret; quelque severe qu'il soit, je persiste dans mes idees. Je
me cacherai, et je travaillerai au milieu de mes livres. Je n'ai plus
qu'un tres-petit nombre d'annees a employer pour l'imagination, je veux
en user mieux que des precedentes. Je veux finir mon poeme. Peut-etre
me regrettera-t-on quand je ne serai plus, si je laisse quelque
monument apres moi..." Son cri perpetuel, en ecrivant a madame de
Fontanes et a son ami Joubert, etait: "Ne me laissez point en Allemagne;
un coin et des livres en France!... Je ne veux que terminer dans une
"cave, au milieu des livres necessaires, mon poeme commence. Quand il
sera fini, ils me fusilleront, si tel est leur bon plaisir." Un jour,
apprenant qu'au nombre des lieux d'exil pour les deportes, on avait
designe l'ile de Corfou, ce ciel de la Grece tout d'un coup lui sourit:
"J'ai ete vivement tente d'ecrire a cet effet au Directoire: je ne vois
pas qu'
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