avec impetuosite.
Oh! laissez-moi savourer cet instant qui est le plus beau de ma vie.
Laissez-moi oublier ce qui etait hier, et ce qui sera demain. Voyez
comme cette nuit est douce, comme ce ciel est beau! Comme ce lieu-ci est
tranquille et embaume! Vous etes la! c'est bien vous, Marcelle, ce
n'est pas votre ombre! Nous sommes la tous les deux! Nous nous sommes
retrouves par hasard et involontairement! Dieu l'a voulu et nous avons
ete si heureux d'obeir, _tous les deux_! vous aussi, Marcelle! autant
que moi? Est-ce possible! non, je ne reve pas, car vous etes ici, pres
de moi! avec moi! seuls! heureux! nous nous aimons tant! nous n'avons
pas pu nous quitter, nous ne le pouvons pas, nous ne le pourrons jamais!
--Et pourtant, ami....
--Je sais! je sais ce que vous voulez dire. Demain, un autre jour, vous
m'ecrirez, vous me ferez dire votre volonte. J'obeirai, vous le savez
bien! Pourquoi m'en parlez-vous ce soir? pourquoi gater ce moment qui
n'a pas eu son pareil dans toute ma vie? Laissez-moi me persuader qu'il
ne finira jamais. Marcelle, je vous vois! Oh! que je vous vois bien,
malgre la nuit! que vous etes embellie depuis trois jours... depuis ce
matin, ou vous etiez deja si belle! Oh! dites-moi que votre main ne
sortira plus jamais de la mienne! je la tiens si bien!
--Ah! vous avez raison, Lemor! Soyons heureux de nous retrouver, et ne
pensons pas maintenant qu'il faudra se quitter... demain... un autre
jour.
--Oui, un autre jour, un autre jour! s'ecria Henri.
--Faites-moi donc le plaisir du parler plus bas, dit le meunier en se
rapprochant. J'entends malgre moi tout ce que vous dites, monsieur
Henri!
Les deux amants resterent pendant pres d'une heure plonges dans une pure
extase, faisant les plus doux reves d'avenir et parlant de leur bonheur,
comme s'il devait, non pas s'interrompre, mais commencer le lendemain.
La brise secouait sur eux les parfums de la nuit, et les etoiles
sereines passaient sur leurs tetes sans qu'ils voulussent s'apercevoir
de la marche inevitable du temps, qui ne s'arrete que dans le coeur des
amants heureux.
Mais le meunier, apres avoir donne de loin plus d'un signe d'impatience,
vint les interrompre lorsque l'inclinaison des etoiles polaires lui
indiqua dix heures au cadran celeste.
--Mes amis, dit-il, impossible a moi de vous laisser la, et impossible
aussi de vous attendre un instant de plus. Je n'entends plus chanter
les bouviers dans la cour de la ferme, et les lumiere
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