entiment etait dissipe, je me
disais qu'il y avait eu quelque changement dans la distribution des
loges, et mon premier moment de liberte fut pour aller chez Clotilde et
de la, a Chaillot. Clotilde etait a la campagne. Je demande si ma tante
est a Paris. "Madame Marechal? me repond le portier. On l'a enterree
ce matin." Voila comment se brise une affection de toute la vie, une
affection filiale, je peux dire; car j'aimais ma tante comme si elle
m'avait mise au monde, Elle etait ma mere autant que ma mere; elle
m'avait nourrie de son lait autant que ma mere; elle m'aimait, je crois,
autant que sa fille; et elle etait si bonne, si egale, si douce, si
gaie, si jeune de sante, d'esprit et de coeur! Je ne l'ai pleuree
que dans la surprise du premier moment, et j'ai continue a faire mes
affaires, mes corvees, et a trainer ma fievre et ma toux, qui m'ont pris
juste a ce moment-la, je ne sais par quelle coincidence, je sais que ma
tante avait un grand age, je savais que je devais m'attendre a la
perdre et a l'apprendre comme cela quelque jour, puisque nous vivions a
quatre-vingts lieues de distance. Mais, c'est egal, la resignation ne
console pas, et l'idee qu'une chose est inevitable ne la rend pas moins
amere. J'y pense et j'y penserai tous les jours de ma vie, pour me dire
que, maintenant, je suis tout a fait orpheline. Je ne l'etais pas encore
tant qu'elle vivait. Elle a pense a moi jusqu'au dernier jour de sa vie;
sa derniere parole a ete: "Donnez-moi donc un journal, pour que je voie
si on joue ce soir la piece d'Aurore. Je veux y aller." Pendant que la
bonne allait chercher ce journal, elle a jete un cri: on l'a trouvee
sans parole, sans connaissance, foudroyee d'une _apoplexie pulmonaire_,
dit-on (je ne sais pas ce que c'est), et, une heure apres, elle expirait
dans les bras de Clotilde, sans comprendre et sans souffrir, a ce qu'on
assure. Dieu veuille qu'elle n'ait pas pu savoir qu'elle quittait la
vie! Elle l'aimait, elle se trouvait heureuse partout et toujours. Cette
maniere de finir est encore un bonheur; mais il aurait pu, il aurait
du arriver dix ans plus tard. Ou bien, il faudrait que des etres si
excellents, si doux, si inoffensifs et si aimables ne finissent jamais.
On se retrouve ailleurs, je le crois, je l'espere. Sans cela, il
vaudrait mieux ne pas vivre que de passer sa vie a s'aimer pour se
perdre a jamais.
Je n'ai pas grand'chose a te dire de _Moliere_, Le public a applaudi la
piece; mais on ne l'a joue
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