, et, au bout d'un certain temps, Savine, dont la mauvaise
humeur s'etait accrue, annonca qu'il etait oblige de retourner au
trente-et-quarante pour suivre une serie qui l'interessait.
Ce fut le signal du depart.
--Ne voulez-vous pas venir voir notre ami faire sauter la banque?
demanda Roger a Corysandre, esperant ainsi rester plus longtemps avec
elle; nous suivrons ses emotions sur son visage.
--Sachez, mon cher, que je n'ai pas d'emotions, dit Savine de plus en
plus maussade.
--Alors, repondit Corysandre, cela n'offre aucun interet de vous voir
jouer, et je ne sais vraiment pas pourquoi, le prince Otchakoff et vous,
vous avez toujours une galerie si nombreuse.
--Otchakoff, parce qu'il joue follement; moi, parce que mes combinaisons
sont interessantes.
--Pour moi, continua Corysandre qui n'avait jamais tant parle, le joueur
qui m'interesse, c'est celui qui s'approche de la table en se disant: je
ruine ma femme et mes enfants, si je perds, je n'ai plus qu'a me tuer,
et qui joue cependant; voila celui qui me touche et que j'admire.
--Celui-la est un fou, dit Savine.
--Ou un passionne, dit Roger.
--J'aime les passionnes, dit Corysandre.
Sur ce mot on se separa et les hommes se dirigerent tous les quatre vers
la _Conversation_, Savine et Leplaquet allant en tete, Dayelle et Roger
venant ensuite.
Arrives a la maison de jeu, Savine et Leplaquet monterent le perron,
Roger, qui voulait faire parler Dayelle sur madame de Barizel et surtout
sur Corysandre, parut peu dispose a les suivre.
--Vous n'avez pas envie de jouer, monsieur le duc? demanda Dayelle.
--Je n'ai pas joue depuis que je suis a Bade et je crois que je partirai
sans avoir risque un louis.
--Je ne saurais vous exprimer combien je suis heureux de vous voir dans
ces dispositions, car il y a quelques annees vous etiez un grand joueur,
et le jeu vous a coute cher.
--C'est peut-etre ce qui m'a gueri.
Dayelle croyait avoir trouve une ouverture pour placer son discours, il
se hata d'en profiter:
--Enfin, je suis, je vous le repete, bien heureux de vous voir revenu
si sage de votre voyage; c'est un grand bonheur pour vous, ce sera une
grande joie pour ceux qui, comme moi, vous portent un vif interet, car
je ne doute pas que vous ne perseveriez dans la bonne voie. La jeunesse
a des entrainements, je comprends cela, mais il ne faut pas qu'ils se
prolongent au dela d'une certaine limite. Avec votre beau nom, avec
votre grande fortune, qu
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