nuit, rejoignons miss Armagh.
Il la suivit sans parler; la nuit s'etait fait aussi dans son coeur.
XXVII
Elle pressait le pas, et il marchait pres d'elle.
Elle allait droit son chemin a travers les herbes dessechees par
l'hiver, les yeux baisses, sans les relever et sans les tourner vers
lui.
Et de son cote il ne la regardait pas davantage.
Quant a prendre la parole, ni l'un ni l'autre n'en avaient l'idee,
chacun suivant sa pensee interieure et reflechissant a ce qui venait de
se dire.
--Il ne croit pas, se disait Berengere, il ne m'aime donc pas.
--Pourra-t-elle m'aimer maintenant? se demandait le capitaine.
Il aurait eu cent choses a dire et a expliquer, mais telle etait la
situation, que precisement il ne devait rien dire de ce qui aurait pu la
ramener a d'autres sentiments que ceux qu'il venait de provoquer.
Et justement ils n'avaient que quelques secondes a eux avant de
rejoindre miss Armagh, qui se promenait en long et en large a la croisee
des deux allees, et encore eussent-ils du baisser la voix pour qu'elle
ne les entendit pas.
Ce fut la vieille institutrice qui prit la parole et qui, heureusement
pour leur embarras, la garda jusqu'au chateau.
--Assurement elle aimait, elle admirait les couchers de soleil, mais
elle en avait vu sur le Mangerton de plus beaux que ce pays pouvait en
offrir, et puis, d'autre part, elle avait peur de se mouiller les pieds.
Et jusqu'au chateau elle fit les frais de la conversation, car une fois
qu'elle avait aborde en Irlande, il n'etait pas facile de l'en faire
partir.
Ce bavardage leur fut un soulagement; au moins ils n'avaient pas besoin
de parler, et comme l'ombre s'etait epaissie, ils pouvaient lever les
yeux sans avoir a craindre que leurs regards, se rencontrant, trahissent
leur trouble et leur emotion.
Ordinairement Berengere s'installait dans le salon aussitot que le
capitaine etait arrive, mais ce soir-la elle monta a son appartement,
d'ou elle ne descendit que pour se mettre a table; encore les convives
etaient assis depuis quelques instants, et deja servis.
Elle prit sa place accoutumee aupres du capitaine, mais apres avoir
porte a sa bouche sa cuiller pleine de potage, elle la reposa dans son
assiette; sa gorge etait tellement contractee qu'elle ne pouvait avaler.
Cependant il fallut qu'elle repondit a ceux qui lui adressaient la
parole: au marquis de la Villeperdrix, a Dieudonne de la Fardouyere, au
comte, a la comtesse O'Donog
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