de venir a la Rouvraye, mais a une condition, qui est de me jurer
que vous serez avec ma fille ce que vous etiez avant la journee d'hier.
Le capitaine mit la main sur son coeur, et d'une voix ferme:
--Je vous en donne ma parole d'honneur.
XXXII
Berengere avait entendu son grand-pere sortir, et de derriere son rideau
elle avait vu, a la pale clarte de l'aube naissante, qu'il se dirigeait
vers la grande avenue.
Il allait donc a Conde.
C'est-a-dire chez Richard.
Elle n'avait pas eu une seconde de doute a ce sujet.
Aussi jusqu'au retour de son grand-pere, son anxiete avait-elle ete
poignante.
Que se serait-il passe entre eux?
Ce que Richard aurait repondu, elle le savait a l'avance, et sa passion
lui faisait admettre qu'il aurait assurement tenu le langage qu'il
devait tenir; il ne pouvait pas se tromper, il ne pouvait pas faillir,
n'avait-il pas toutes les qualites, tous les merites, toutes les
perfections, puisqu'il etait aime.
Ce qui la tourmentait c'etait de deviner quelles avaient pu etre les
exigences de son grand-pere.
Sans doute lui aussi etait aime, et d'une ardente tendresse, mais ce
n'est pas l'amour filial qui produit le phenomene du mirage avec ses
illusions merveilleuses.
Si elle n'avait pas d'inquietudes au sujet de Richard, elle en avait par
contre de fievreuses et cruelles au sujet de son grand-pere.
Qu'avait-il dit?
Qu'avait-il exige?
Elle s'habilla devant sa fenetre, ne quittant pas l'avenue des yeux,
et quand elle fut habillee, elle resta derriere la vitre, guettant,
attendant le retour de son grand-pere.
Elle se disait que maintenant qu'il savait qu'elle aimait Richard, il
aurait une indulgence qu'il n'aurait pas eue auparavant.
Mais d'autre part, elle se disait aussi qu'il n'y avait qu'un point sur
lequel il ne pouvait etre indulgent,--la foi,--et que pour tout ce que
lui commanderait cette foi, il etait homme a obeir, si penible que lui
fut l'obeissance, et dut-elle meme aller jusqu'au martyre.
Vingt fois elle crut l'apercevoir, et vingt fois elle dut reconnaitre
qu'elle s'etait trompee.
Enfin elle le vit revenir, marchant a pas lents dans l'avenue, la tete
basse, portant de temps en temps la main gauche a son visage et la
laissant tout a coup retomber.
Vivement elle descendit pour courir au-devant de lui.
Pendant une grande partie de la nuit, elle s'etait demande comment elle
oserait soutenir son regard apres l'aveu qu'elle lui avait fait; car s
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