coeur, par cette seduction
irresistible qui se degage d'elle tout naturellement comme le parfum de
la fleur, et qui penetre, qui enivre ceux qui l'approchent. Enfin un
jour j'ai constate que cet amour etait dans mon coeur. Je ne m'y suis
point abandonne. J'ai voulu l'arracher, car je savais qu'entre elle et
moi, ou plus justement entre vous et moi, il y avait un abime. Je n'ai
point reussi et j'ai senti qu'il m'avait envahi tout entier par des
racines si nombreuses et si fortes, que je ne les briserais jamais, et
que contre lui, raison aussi bien que volonte seraient impuissantes. Je
n'ai pu qu'une chose: le cacher, l'enfermer au plus profond de mon
coeur et veiller a ce qu'il ne se trahit, aux yeux de celle qui l'avait
inspire, ni par un geste ni par une parole. Sur mon honneur je vous
affirme, monsieur le comte, que tout ce qui etait humainement possible,
je l'ai fait. Je n'ai pas reussi; celle a laquelle je voulais le cacher
l'a senti, car entre ceux qui s'aiment il n'est pas besoin de gestes ni
de paroles pour se comprendre et s'entendre, et quand le mot d'amour a
echappe a nos levres, elles n'ont fait que repeter ce que nos coeurs
s'etaient dit depuis longtemps. Maintenant je sais que mademoiselle
Berengere m'aime, elle sait que je l'aime; je sais qu'elle consent a
etre ma femme, je sais qu'elle le desire; je sais qu'il n'y a entre elle
et moi qu'un obstacle; eh bien! monsieur le comte, si je ne dis pas le
mot qui leverait cet obstacle, c'est que je ne peux pas le dire. D'un
cote il y a mon amour, ma vie, mon bonheur, le bonheur de celle que
j'aime; de l'autre il y a l'honneur et la loyaute, et ce n'est pas
vous, monsieur le comte, qui me conseillerez de preferer le bonheur a
l'honneur. Lorsque nous nous sommes separes, son dernier mot a ete
pour me dire: "Je veux etre votre femme; agissez en consequence, mais
franchement, loyalement." C'est a elle que j'obeis en vous repondant
comme je le fais.
Le comte se cacha le visage dans ses deux mains, et quelques mots
entrecoupes s'echapperent de ses levres fremissantes.
--Oh! mon enfant, ma pauvre enfant!
Puis il resta silencieux, adosse au marbre de la cheminee, la tete
inclinee en avant, ses longs cheveux blancs tombant sur ses mains et sur
son visage.
Ce ne fut qu'apres un temps assez long qu'il releva la tete:
--Monsieur de Gardilane, dit-il, nous sommes dans une situation terrible
que je ne puis trancher dans un sens ou dans l'autre. Vous continuerez
donc
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