ait pas un mari possible pour elle.
Tandis que maintenant il le connaissait, cet amour, il savait qu'elle
aimait, il savait qu'elle etait aimee, et il y avait des probabilites
pour admettre qu'il ne voudrait pas briser la vie de cette enfant qu'il
adorait.
Mais etait-il delicat, etait-il loyal de speculer pour ainsi dire sur
cette situation nouvelle? Etait-il honnete, relevant fierement la tete,
de repondre au comte: "Je ne partage pas vos croyances, mais comme votre
fille m'aime, peu importe, il faudra bien que vous me la donniez."
Le capitaine rejeta loin de lui un pareil calcul, et avec d'autant plus
de fermete qu'il n'avait pas mis cette assurance dans sa reponse,
alors que la situation etant autre, il avait toutes chances de perdre
Berengere en parlant de ce ton.
Ce qu'il n'avait pas fait alors il ne devait pas le faire maintenant;
les situations peuvent changer, ces changements n'ont aucune influence
sur une ame droite et loyale.
La seule reponse possible pour lui etait donc celle qu'il avait deja
faite, ou plutot celle de n'en pas faire du tout; mais le comte s'en
contenterait-il?
Il cherchait comment sortir de cette difficulte lorsque le comte
insista:
--Eh bien! vous ne repondez pas?
--C'est que je n'ai rien a repondre.
--Ce que je vous demande, c'est un oui ou un non.
--Et justement c'est ce qui me rend hesitant. Que je vous reponde:
"Non, je ne suis plus l'homme que j'etais alors," ma reponse ne
paraitrait-elle pas dictee plutot par mon amour que par ma conscience?
Au contraire, que je vous reponde: "Oui, je suis toujours cet homme," ne
pourrez-vous pas supposer que, me sentant fort de l'aveu que m'a fait
celle que j'aime, j'espere violenter votre consentement? De la mon
embarras, mon angoisse, monsieur le comte, et jamais je n'en ai supporte
de plus douloureuse. Ne m'ecoutez pas comme un juge severe...
--N'en ai-je pas le droit?
--Je me soumets a ce droit, mais cependant j'ose faire appel a l'amitie
que vous vouliez bien me temoigner, et ce que je vous demande, c'est de
m'ecouter comme un ami, comme un pere.
De la main M. de la Roche-Odon lui fit signe de parler.
--Ne vous offensez pas de mon premier mot, il faut que je le dise,
il faut que je l'affirme: j'aime mademoiselle Berengere d'un amour
tout-puissant. Comment cet amour est ne, je ne saurais le dire: a mon
insu j'ai ete gagne par sa grace, par sa beaute, par sa bonte, par le
charme de son esprit, par les qualites de son
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