--J'ignorais qu'elle le connut et je n'avais jamais rien fait pour le
lui reveler,--au moins je croyais n'avoir rien fait.
--Et pourquoi pensiez-vous que ma petite-fille ne pouvait pas devenir
votre femme?
--Parce qu'il y avait entre elle et moi des obstacles que je croyais
insurmontables.
--Quels obstacles?
--Ceux qui resultaient de votre position.
--Par votre naissance vous etes digne d'entrer dans la famille la plus
noble de France.
--Je n'ai pas de fortune.
--Vous recueillerez un jour de beaux heritages.
--Un jour...
--Et vous ne pensiez pas a d'autres obstacles?
--Je pensais que vous n'accepteriez pour gendre qu'un homme qui serait
en communaute de croyances avec vous.
--Et vous n'etiez pas cet homme?
--Je ne l'etais pas.
Le comte se recueillit un moment avant de continuer.
Et le capitaine le vit agite d'un tremblement qui disait combien vive
etait son emotion.
Lui-meme, quoique plus maitre de ses nerfs, n'etait pas moins emu, car
il comprenait a quel but tendait cet interrogatoire, mene sans detour
par M. de la Roche-Odon.
Les angoisses qu'il avait eu a supporter la premiere fois que le comte
l'avait questionne, l'etreignaient de nouveau, et plus poignantes, plus
cruelles maintenant, car ce n'etait plus dans des esperances plus ou
moins vagues qu'elles le menacaient, c'etait dans une certitude qu'elles
l'atteignaient. Berengere l'aimait, Berengere voulait etre sa femme, et
au moment ou le comte etait venu le precipiter durement dans la realite,
c'etait ce reve qu'il caressait.
Qu'allait-il resulter de ses reponses?
Apres quelques minutes d'un silence douloureux pour tous deux, M. de la
Roche-Odon poursuivit:
--L'homme que vous etiez alors, l'etes-vous toujours?
--Mais...
--Je veux dire, afin de bien preciser cette question pour moi
capitale,--il souligna ce mot,--et ne pas laisser place a l'erreur, je
veux vous demander si les entretiens que nous avons eus a ce sujet n'ont
pas modifie les idees que vous m'avez fait connaitre a ce moment? Le
comte l'avait dit, la question etait capitale, et le capitaine voyait
clairement que sa reponse pouvait decider et briser son mariage.
Sans doute, les circonstances n'etaient plus les memes qu'au moment ou
M. de la Roche-Odon etait venu l'interroger sur ses principes religieux.
A ce moment, il ne connaissait pas l'amour de sa petite-fille, et sa
demarche n'avait d'autre objet que de s'assurer si le capitaine etait ou
n'et
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