lier, on trouvait l'autel de l'Examen,
au milieu l'autel du Doute, et enfin, a son sommet, le temple de la
Philosophie, au milieu duquel etait erigee une statue de Montaigne.
Pendant une vingtaine d'annees, ce temple avait ete une des curiosites
du pays; mais, apres 89, les habitants de Conde et les paysans
d'alentour, n'admettant pas qu'on batit un temple rien que pour honorer
la philosophie (connais-tu ca, toi, sainte Lisophie?), s'etaient imagine
que le tresor de la Roche-Odon etait cache dans ce temple. Cette
croyance s'etait repandue, et, en 93, le club de l'Egalite, preside par
Fabu (qui plus tard devait devenir Fabu de Carquebut et beau-pere du
marquis de Rudemont), avait decide que des fouilles seraient faites dans
ce temple en vue de restituer a la nation les tresors des ci-devant
comtes de la Roche-Odon.
De tresors, on n'en avait point trouve; mais la colline avait ete si
bien fouillee que le temple s'etait ecroule et, dans sa chute, avait
ecrase trois travailleurs patriotes, dont la mort, selon l'opinion d'une
grande partie de la contree restee fidele a la religion, avait ete
causee par la vengeance de sainte Lisophie.
Quand les la Roche-Odon avaient repris possession de leur domaine, ils
n'avaient eu garde de relever le temple voue a Michel Montaigne, car
leurs croyances s'etaient epurees a l'experience de 93, et il ne
s'agissait plus pour eux de jouer a la philosophie, au doute, a l'examen
ou autres niaiseries de ce genre.
Pour le present comte de la Roche-Odon, cette partie de la foret qui
rappelait une defaillance d'un de ses ancetres, etait un endroit maudit.
Abandonnee aux forestiers, cette colline naguere embellie, etait donc
retournee a l'etat de nature; les mousses, les lichens, les orseilles,
les fougeres avaient recouvert les colonnes couchees sur la terre, les
marches de l'escalier s'etaient effondrees, les autels avaient ete
emportes pour devenir des auges a cochons, et partout les broussailles,
les ronces, et la vegetation foisonnante des bois sauvages avaient
remplace les savantes combinaisons de l'amant de la nature.
C'etait la que Berengere avait donne rendez-vous a Richard, certaine a
l'avance de n'y etre point surprise.
Toute la difficulte pour elle etait de s'y rendre; mais l'amour lui
avait inspire une hardiesse et une audace qu'elle n'avait pas au
temps ou elle avait prie le capitaine de Gardilane de venir dans le
saut-de-loup. Son intention n'etait pas d'inventer une combi
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