au ministere, ou je suis recu par M. Cavalie, dit _Pipe-en-Bois,_
chef du cabinet. Il m'introduit aupres de M. le Ministre de l'interieur et
de la guerre, qui m'accueille avec une bonne grace pleine d'affabilite.
M. Gambetta me felicite sur mes projets, et m'apprend que M. Steenackers,
nomme directeur des telegraphes et des postes, se chargera du service des
ballons. Puis, prenant un papier, il y ecrit ces mots:
"Je prie M. Steenackers d'activer le projet si courageux de M.
Tissandier."
M. Gambetta me serre la main et me congedie en me disant d'un ton
dictatorial: "Bonne chance et bon vent!"
Depuis ce jour, tous les chemins nous ont ete ouverts pour activer nos
Projets!
III
Lettres pour Paris par ballon monte.--Le bon vent souffle a
Chartres.--Cernes par les Prussiens!--Evasion nocturne.--L'hotel du
Paradis.--Allons chercher le vent!
Du 15 octobre au 1er novembre.
Cependant, la nouvelle de la construction d'un ballon s'est repandue a
Tours; comme nous ne voulons pas renseigner l'ennemi sur nos projets, nous
nous gardons bien de rien publier a cet egard; aussi l'imagination du
public se livre-t-elle a toutes les fantaisies. Les mieux renseignes
pretendent que l'on construit un ballon dirigeable, qui, a coup sur, va
rentrer a Paris. L'apparition au bureau du telegraphe d'une vaste boite
aux lettres avec cette inscription: LETTRES POUR PARIS PAR BALLON MONTE,
accredite singulierement cette maniere de voir; j'ai beau dire partout
que nous voulons seulement essayer un voyage perilleux, incertain, que la
reussite est douteuse, personne ne veut ajouter foi a cette opinion. On se
repete de toutes parts: Un ballon va partir pour Paris, il va rentrer a
Paris. Comment? On l'ignore, mais on oublie que les deux mots tentative et
succes sont souvent separes par un abime; l'esprit humain est ainsi fait
qu'il croit toujours ce qu'il desire, et souvent, sans reflexion, il se
plait a transformer le projet en fait accompli.
Mon frere et moi nous recevons sans cesse de veritables ovations; on nous
montre du doigt: "Voila, dit-on, les aeronautes qui vont rentrer a Paris."
J'enrage parfois, car je sais bien, helas! que nous ne sommes pas
encore dans l'enceinte des fortifications. "Nous n'allons pas a Paris,
disons-nous, nous allons essayer d'y aller, c'est bien different." Mais
rien n'y fait. Nous recevons des lettres innombrables; ce sont des amis
et des inconnus qui nous ecrivent: "Voulez-vous etre assez bons pour vou
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