les hommes ont assez
de besogne a remorquer l'aerostat captif, le moindre fardeau generait la
liberte de leurs mouvements. Le capitaine fait l'appel, il n'y a pas de
deserteurs.
Nous allons partir, laissant Duruof et la _Ville de Langres_ comme equipe
de reserve.
Jossec et Guillaume dechargent la nacelle des pierres qu'on y a placees,
ce n'est pas une petite affaire, car un de nos _moblots_, ancien macon,
solide comme Samson, a apporte la de veritables rochers d'un poids enorme.
Nous avons envoye en avant les plateaux qui nous serviront pour les
ascensions captives, et la batterie que j'ai fait construire pour
remplacer, par de l'hydrogene pur, le gaz perdu par la dilatation ou
l'endosmose. Bertaux, notre capitaine-tresorier, a achete pour nous
mille kilog. de zinc et dix touries d'acide sulfurique, qui representent
plusieurs rations de vivres pour le _Jean-Bart_. Un bon commandant
n'envoie pas ses soldats en campagne sans biscuits, par la meme raison, un
aeronaute ne doit pas partir avec son ballon sans une bonne provision de
gaz. Aussi nous sommes-nous munis de tout le materiel necessaire pour le
produire.
Mon frere rassemble les hommes, je monte dans la nacelle qui, suffisamment
delestee, s'eleve. Le ballon est suspendu dans l'espace a la hauteur de
deux maisons de cinq etages; les quatre cordes qui le retiennent sont
tendues aux quatre angles d'un grand carre par les mobiles repartis a
chacune d'elles en nombre egal. On se croirait attache sous le ballon a
un grand faucheux a quatre pattes qui rampe sur les champs, car qu'est-ce
qu'une hauteur de quelques etages pour l'aeronaute qui pourrait compter
ses etapes verticales par plusieurs dizaines de tours de Notre-Dame
superposees?
Ah! decidement, le voyage en ballon captif ne ressemble guere a
l'excursion en ballon libre. C'est la difference qui existe entre la
prison et le grand air de la liberte. L'aerostat n'aime pas trainer un
boulet a sa nacelle. Il s'incline sous l'effort du vent, il fait grincer
ses cordes et sa nacelle. Le voyageur est secoue dans son panier comme un
nautonnier sur sa barque au sommet des vagues. Le vent siffle violent et
froid. Tandis que la-haut, en liberte, on plane avec l'air en mouvement,
que nulle brise ne se fait sentir, ici-bas, en captivite, il faut retenir
son chapeau des deux mains, si l'on ne veut pas qu'il s'envole.
Au-dessus des nuages, les villages, les villes, les provinces defilent
sous vos yeux comme un vaste pan
|