un froid de
loup, et six heures de voyage nous separent du Mans; trop heureux si
quelque retard imprevu ne nous fait pas faire le tour du cadran dans notre
prison cellulaire.
Nous arrivons a 2 heures du matin, moulus, brises, mais nous arrivons,
c'est l'essentiel. Les jours suivants se passent a chercher un local pour
nos ballons. L'atelier des baches a la gare est mis a notre disposition.
La _Ville de Langres_ y est etale; nos marins le vernissent a neuf.
Il faut s'occuper a present des rations de vivres que le ministre de la
guerre a mises a la disposition des marins aerostiers. Nous avons nos
commissions en regle, l'intendance ne fera pas de difficultes. Erreur
profonde. L'intendant n'a pas recu d'ordre direct, il y a encore quelques
formalites a remplir; bref, il ne nous donne pas nos vivres, mais il a eu
soin de nous faire attendre une heure dans son bureau pour arriver a cette
solution. Heureusement que nous sommes assez riches pour avancer deux
francs par jour a huit hommes, mais si nous commandions un bataillon, que
ferions-nous? Il faut le demander aux colonels de notre armee qui se sont
vu refuser des vivres pour leurs soldats par des intendances, ou des
milliers de pains moisissaient dans la cour. Mais a quoi bon se donner la
peine d'attaquer l'intendance francaise? On n'en dira jamais assez a ce
sujet, c'est chose malheureusement connue et convenue.
Notre ballon est pret, allons prendre les ordres du general commandant en
chef l'armee de Bretagne. Le jeudi 15, a 10 heures, nous arrivons au camp
de Conlie. Est-ce bien un camp? C'est plutot un vaste marecage, une plaine
liquefiee, un lac de boue! Tout ce qu'on a pu dire sur ce camp trop
celebre est au-dessous de la verite. On y enfonce jusqu'aux genoux dans
une pate molle et humide. Les malheureux mobiles se sont pourvus de sabots
et pataugent dans la boue ou ils pourraient certainement faire des parties
de canots. Ils sont la quarante mille, nous dit-on, et tous les jours on
enleve cinq ou six cents malades. Quand il pleut trop fort, on retrouve
dans les bas-fonds des baraquements submerges. Il y a eu ces jours
derniers quelques soldats engloutis, noyes dans leur lit pendant un orage.
Mais, sont-ce bien des soldats ces hommes que nous voyons errer comme
les ombres du Dante? Comment connaitraient-ils un metier qu'on ne leur a
jamais appris? Arraches a leurs familles, a leurs campagnes, on leur
a parle des Prussiens, de l'invasion de la patrie en danger.
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