monde est silencieux, atterre, comme
abruti. Tantot des estafettes courent pour porter des ordres; il faut
leur ouvrir un passage; des canons remontent le courant pour proteger la
retraite jusqu'a la nuit.--Cependant le bruit de la canonnade augmente
d'amplitude, l'ennemi approche! Aura-t-on le temps de traverser la Loire?
Fasse le ciel que les obus ne tombent pas sur la route, cachee sous un
ruban de soldats et de voitures!
L'encombrement augmente a mesure qu'on avance. Devant la porte d'Orleans
le courant s'arrete pendant pres d'une heure. La foule serree, est
immobile. Chacun est cloue a la meme place, sans pouvoir faire un pas en
avant ou reculer d'une semelle. Je ne sais quoi de triste, de lugubre
domine ce tableau. Toutes les maisons du faubourg Banier se ferment, les
ruines du premier envahissement sont encore fumantes et semblent menacer
les habitations intactes. Les portes sont tirees au dedans, les volets
sont clos; de temps en temps une tete passe pour voir si ce sont encore
des pantalons rouges qui defilent!
A trois heures de l'apres-midi, les pieces de canon de la marine, placees
en avant des faubourgs d'Orleans, commencent a tonner au moment ou nous
arrivons place Jeanne d'Arc; nous voyons la un colonel furieux, les yeux
injectes de sang, qui court apres des fuyards un revolver a la main;
il les rassemble en un peloton. Un tambour resonne, et les laches sont
contraints de se porter a l'ennemi. La caisse sonne la charge d'un ton
lugubre et monotone.
La faim commence a nous faire subir ses angoisses, mais il ne reste plus
un morceau de pain a Orleans. Cent mille hommes viennent de passer la
avant nous. Nous courons a la gare ou Bertaux, Duruof et son equipe, les
colombophiles Van Roosebeke et Cassiers sont reunis. Nos ballons sont
sauves du naufrage. Nous allons tous partir par le dernier train qui se
forme sous nos yeux. Il est uniquement compose de fourgons ou s'entasse
une foule enorme.
Jamais je n'oublierai l'epouvantable tableau qu'offre en ce moment la
gare d'Orleans. Elle est encombree de blesses, aux yeux hagards, qui se
trainent jusqu'au train pour s'enfuir. Notre fourgon contient six ballons,
nous sommes dix-sept avec nos equipes, et en outre cinq capitaines de la
ligue ont pris place accroupis sur les nacelles. De malheureux blesses
nous supplient de leur donner asile, mais il est de toute impossibilite de
placer une aiguille parmi nous. Les uns ont la tete ouverte par une balle,
d'autres
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