ont le bras ballant et inerte, d'autres s'appuient sur les
epaules d'un camarade. Tous ces soldats sont a demi couverts de vetements
en lambeaux, des zouaves n'ont plus ni molletieres ni souliers, la plupart
n'ont pas de capotes, ni de kepis, ni de couvertures ... et il gele a
pierre fendre!
Le train va partir. C'est le dernier, il est cinq heures Les blesses qui
ont encore quelque force se hissent sur le toit des fourgons; malgre le
froid, ils se tiennent la immobiles, couches a plat ventre. Ceux-la sont
encore privilegies, car d'autres, bien plus nombreux, ne partiront pas.
La captivite les attend! Ils gemissent, ils pleurent, ces malheureux, a
l'idee d'etre enleves a ce lieu si cher, a la patrie, a la famille, aux
amis. Le coeur saigne devant de tels tableaux que nulle plume ne saurait
decrire! Au milieu de tout cela, des tetes affolees crient et s'agitent,
des paniques s'emparent de la foule.
--Les rails sont coupes, disent les uns, votre train va etre brise!
--Les canons prussiens, disent les autres, vous attendent au tournant de
la Loire.
A cinq heures et demie, la locomotive siffle. Le train part, au milieu
du gemissement des blesses exposes sur le toit des fourgons. Le coup de
collier brusque de la machine a ouvert leurs plaies et leur a arrache des
cris de douleur. Nous suivons lentement le bord de la Loire; les boulets
francais sifflent a travers les arbres, on apercoit au loin le pont
d'Orleans litteralement couvert d'une mer humaine. A cote, un pont de
bateaux jete sur le fleuve facilite le mouvement de la retraite. Le soleil
se couche; son disque, rouge comme du sang, lance ses derniers rayons sur
cet horrible panorama qu'accompagne le bruit du canon. Au milieu d'une
telle desolation, je me figure entendre la grande voix du poete, s'ecrier
comme apres Waterloo:
C'est alors
Qu'elevant tout a coup sa voix desesperee,
La deroute geante, a la face effaree,
Qui, pale, epouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A de certains moments, spectre fait de fumee,
Se leve grandissante au milieu des armees,
La deroute apparut au soldat qui s'emeut
Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut!
Nous croisons en chemin le train de M. Gambetta, mais un signal le fait
arreter. Il n'est plus temps d'entrer a Orleans. Les rails viennent
d'etre coupes. Le ministre de l'interieur et de la guerre est oblige de
rebrousser chemin, de revenir a Tours.
Cepe
|