notre aerostat.
Apres l'examen de notre itineraire, la soiree se passe dans le salon du
chateau, ou un piano a queue reste intact: il a besoin d'etre accorde,
mais, malgre les sons de casserole felee qu'il fait entendre, il contribue
a charmer nos loisirs. Un secretaire, dans la piece ou nous sommes, a ete
force, et les lettres dont il etait rempli sont entassees sur le parquet.
Parmi ces debris, nous trouvons un petit paquet soigneusement ficele, ou
sont ecrits ces mots: "Cheveux de ma Virginie." Un de nous recueille ce
souvenir cher au proprietaire inconnu, qui nous donne l'hospitalite sans
le savoir, il se promet apres la guerre de le renvoyer sous enveloppe au
chateau du Colombier. Est-ce un pere qui retrouvera la precieuse relique
d'une fille morte, ou un mari celle de sa femme? Nous l'ignorons. Mais
quoi qu'il en soit, une victime des barbaries prussiennes verra qu'une
main sympathique a passe parmi le pillage et les ruines.
A onze heures, nous nous couchons tout habilles sur nos lits qui ne sont
guere plus propres qu'une etable. Je m'endors d'un profond sommeil a
l'idee que les ballons captifs vont pouvoir venir en aide a l'armee de
la Loire, mes reves me montrent l'ennemi que j'observe du haut de notre
observatoire aerien; la vaillante armee de la Loire avance sur Paris, elle
repousse les legions prussiennes, et bientot c'est la zone des forts de la
capitale qui s'offre a sa vue. Encore une illusion que la triste realite
devait dissiper bientot.
II
Le depart.--Le voyage en ballon captif.--Accident a Chanteau.--Reparation
d'une avarie.--Arrivee a Rebrechien.--Tempete nocturne.--Le _Jean-Bart_
est creve.--Retour a Orleans.--Gonflement du ballon _la Republique_.
Du 30 novembre au 3 decembre 1870.
Le temps est legerement brumeux, des nuages opaques se promenent lentement
dans des regions atmospheriques assez rapprochees de la surface du sol. Le
ballon a ete si bien repare, si bien verni qu'il est presque aussi rond
que la veille, c'est a peine s'il accuse une deperdition de gaz par
quelques plis legers qui rident un peu sa partie inferieure. Vers
l'equateur, il est toujours tendu par la pression interieure, et son filet
forme a sa surface comme un capiton qui defierait la main du plus habile
tapissier.
Il est 7 heures du matin, il y a grand branle-bas au chateau du Colombier.
La compagnie des mobiles a plie ses tentes; les fusils, les sacs sont
entasses sur des charrettes qui vont nous suivre, car
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