quatre heures trente minutes, nous prenons les dispositions du depart.
Nos valises bouclees a la hate sont attachees au cercle du filet, un
dernier paquet de lettres qu'apporte le maire de Romilly est place dans
la nacelle. Nous montons dans notre esquif d'osier; il fait un temps
magnifique, de grands nuages blancs se bercent dans l'air, l'heure du
crepuscule va sonner, la nature est calme et majestueuse.
Le depart s'execute dans les meilleures conditions, en presence d'une
foule completement etrangere aux manoeuvres aerostatiques. Elle manifeste
son etonnement par le silence et l'immobilite. Tous les spectateurs
ont les yeux fixes sur l'aerostat; quand il quitte terre, les tetes se
dressent, les bras se levent, les bouches sont beantes.
Je ne me rappelle pas avoir jamais fait d'ascension dans des circonstances
si remarquables. Nous quittons lentement les prairies verdoyantes, les
lignes de peupliers qui les encadrent. Une legere vapeur, opaline,
diaphane, couvre ces richesses vegetales, avant que le manteau de la nuit
ne s'y etende. Une indicible fraicheur, odorante, penetrante, monte dans
l'air comme la plus suave emanation, elle nous enveloppe, jusqu'au moment
ou le _Jean-Bart_ s'enfonce dans la zone des nuages; jamais je n'avais
eprouve cette volupte secrete du voyage aerien, ce vertige merveilleux de
l'esprit qui s'abandonne a la nature.
On croirait en se separant du plancher terrestre, qu'on y laisse quelque
chose de soi-meme, la partie physique, materielle: ce qu'on emporte
avec soi, c'est l'ideal. Lisez Goethe: le poete decrit quelque part,
l'impression qu'eprouve l'ame lorsqu'elle se separe du corps au moment du
trepas; il y a dans cette description poetique, imagee, ecrite en un style
puissant, quelque chose qui rappelle cet abandon des choses terrestres,
dans la nacelle de l'aerostat!
Nous traversons comme la fleche le massif des nuages. Impression vraiment
curieuse. Pendant ce passage rapide, c'est une buee legere qui vous
entoure, une nebulosite semi-transparente. Puis au-dessus, c'est la
lumiere resplendissante, c'est le spectacle du soleil, qui lance ses
rayons ardents sur les montagnes de vapeurs, Alpes celestes aux mamelons
escarpes, arrondis. Sous les nuages, nous avons laisse la nature,
presque endormie, somnolente a l'heure du crepuscule. Au-dessus, nous la
retrouvons eveillee, pleine de vie, ivre de lumiere. Quels tons puissants
dans ces rayons qui s'echappent du soleil au declin, quand on les
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