on les recut a bras ouverts; ils s'etonnaient qu'on
n'applaudit pas a leur passage, et que les dames en toilettes elegantes ne
vinssent pas ecouter la musique militaire qu'ils faisaient entendre sur la
place Jeanne d'Arc.
Tout le monde etait en deuil, les rues etaient desertes. Le soir, nul ne
pouvait circuler dans la ville sans tenir une lanterne a la main. Quelques
jeunes gens s'amusaient a attacher des lanternes venitiennes aux pans de
leurs habits, comme pour gouailler ces ordonnances ridicules de l'autorite
prussienne. Mais Von der Tann ne goutait pas la plaisanterie, il fallait
ceder, sous les ordres des barbares, cacher sa haine et son indignation au
plus profond de son coeur.
* * * * *
_Mardi 29 novembre_.--Des six heures du matin, nous commencons le
gonflement du _Jean-Bart_, qui convenablement plie depuis la veille,
attend sa ration de gaz. Notre chef d'equipe Jossec, un marin breton,
a tout _pare_, suivant son expression navale, avec le plus grand soin;
l'operation s'execute dans les meilleures conditions. A deux heures de
l'apres-midi, le _Jean-Bart_ arrondi, frais verni, brille au soleil comme
une enorme pomme de rainette. Il tend ses cables avec force et ne demande
qu'a voltiger dans les nuages, mais il est cloue au rivage terrestre par
des poids qui defient sa force ascensionnelle.
Ce n'a pas ete sans peine que nous avons obtenu les requisitions
necessaires a la fourniture du gaz; il a fallu aller voir le prefet, le
maire, toutes les autorites; selon l'excellent usage administratif, ces
fonctionnaires ont entrave nos projets d'une foule de petits obstacles
qui, reunis, deviennent des montagnes a soulever. Mais nos campagnes
aerostatiques faites sous l'Empire nous ont familiarises avec les
difficultes administratives, nous savons amadouer le garcon de bureau,
qui consent a nous ouvrir le sanctuaire du secretaire, d'ou il n'y a plus
qu'un pas a franchir pour penetrer chez le maitre. Celui-ci, prefet ou
maire, ne manque pas de froncer le sourcil a notre demande de gaz; malgre
les papiers dont nous sommes munis, malgre l'utilite incontestable de
notre mission, malgre l'urgence commandee par les circonstances, son
devoir d'administrateur devoue lui impose des difficultes, qu'il trouve
toujours.
--C'est tres-grave, messieurs; qui payera le gaz? Est-ce la guerre, est-ce
le departement? Revenez dans une heure. Je vais etudier la question avant
de vous donner la requisiti
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