ques moments au milieu de
cette verte prairie. "Oh hisse! larguez les cordages!" Le ballon descend
lentement et vient se reposer mollement sur un tapis de verdure, ou nous
faisons la sieste pendant un bon quart d'heure.
Il fait un froid de loup dans la nacelle, mon frere et le marin Guillaume
nous y remplacent; bientot le ballon reprend sa marche avec une lenteur
plus grande encore, car l'ardeur de nos moblots s'est ralentie; les cris
et les rires sont plus rares, voila deja quelques trainards qui ne veulent
plus rien trainer du tout. Je fais reprendre les cordes a ces paresseux
qui se font un peu tirer l'oreille, et qui ne se mettent a l'oeuvre
qu'avec un enthousiasme bien modere. Quoi qu'il en soit, nous arrivons au
chateau du Colombier. Le ballon passe sans encombre au-dessus d'un rideau
d'arbres qui entoure une vaste pelouse ou le ballon la _Ville de Langres_
est deja pose.
La nacelle ramenee a terre est remplie de sacs de lest pleins de terre,
et de grosses pierres qu'on y entasse. Le _Jean-Bart_ ainsi charge peut
passer la nuit sans qu'il y ait crainte de le voir s'envoler.
Nous allons prendre possession des chambres qui nous sont reservees dans
le chateau ou Duruof et des employes du telegraphe sont deja installes;
cette habitation est devenue le quartier general des aerostiers
militaires.
Quel ne serait pas l'etonnement du proprietaire s'il voyait le sans-gene
avec lequel on couche dans ses lits! Mais quelle ne serait pas surtout sa
douleur, s'il savait comment les Prussiens, qui ont passe par la avant
nous, ont arrange son mobilier!
Tous les meubles sont brises, les tiroirs gisent pele-mele, des lettres,
des papiers, couvrent les parquets. Tout est decime, mis en pieces. Les
lits sont d'un aspect repoussant, on voit qu'une armee y a couche avec
des souliers crottes. On n'a respecte que la batterie de cuisine, ou le
cuisinier des moblots travaille deja a la preparation de notre diner. Il
a deniche un grand tablier dans quelque coin, et il preside a la cuisson
d'un gigot avec la dignite d'un Vatel emerite. Deux de ses compagnons
d'armes lui servent de gate-sauce, et font cuire la soupe. Inutile de leur
demander s'ils soignent le repas, car ils en mangeront comme nous!
Le capitaine de la compagnie est un charmant homme, tres-gai,
tres-affable, nous sommes deja les meilleurs amis du monde; nous nous
disposons a mettre le couvert, avec les assiettes qui ont echappe aux
devastations prussiennes. Quant au
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