ce. Il nous conduit
ensuite au _Grand-Hotel_ de la localite. C'est une humble chaumiere, un
cabaret de village, tres propret, fort bien tenu. La patronne nous fait
les honneurs avec une bonne grace, ma foi! charmante. Elle nous offre sa
chambre, pour passer la nuit. De grand coeur nous la remercions, heureux
de trouver un lit pour nous reposer de nos fatigues et de nos emotions.
Nous dinons dans ce cabaret avec un appetit tout aerien. Mon frere et moi
nous repondons aux questions des curieux, faisant l'un et l'autre de la
propagande aerostatique.
--C'est egal, dit un vieux malin, quel fier toupet vous avez pour vous
promener dans les nuages, avec une telle machine. Bonte divine! il faut
avoir envie de voir la lune pour monter si haut.
La conversation ne tarde pas a s'engager sur la politique. La nouvelle de
la levee des hommes maries n'est pas recue ici avec tout le patriotisme
qu'on pourrait attendre. Cependant quelques hommes sont resolus, et dans
leur langage un peu rude, font preuve d'energie, de courage.
--Qu'ils y viennent donc ici, les Prussiens, avec nos falaises nous ne les
craignons pas!
Mais ceux-la malheureusement sont rares, d'autres bien plus nombreux
protestent contre cette ardeur belliqueuse.
--Il n'y a rien a faire, allez, mes enfants! Les Prussiens sont plus
malins que nous. S'ils viennent ici, pourvu que nous leur donnions a
manger et a boire, ils ne nous feront pas de mal. A quoi bon faire bruler
nos maisons, et nous faire etrangler! Nous serons bien avances apres.
On a beau dire que ce langage est indigne, que l'Alsace et la Lorraine,
provinces francaises comme la Normandie, sont envahies, qu'il faut
secourir ses freres, ces raisonnements n'entrent pas dans la tete des
paysans qui ne voient dans la France que leur toit, leur femme, leurs
enfants et surtout la vente de leurs produits.
--Que diriez-vous, braves Normands, si votre pays devaste etait en proie
aux brigandages de l'ennemi et que toute la France vous abandonne?
--Ah ben! Monsieur! je ne suis pas assez savant pour repondre a vos beaux
discours, mais si les Prussiens viennent chez moi, je leur offrirai un bon
souper. Je ne connais que ca.
Apres notre repas, un des plus anciens membres du conseil municipal
nous invite a venir chez lui. Nous acceptons, et nous sommes contraints
d'avaler un grand verre de cidre.--Nous n'avons pas la moindre soif, mais
comment refuser de trinquer avec une des autorites du pays? Notre hote est
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