u'ils impriment au
_Jean-Bart_ de terribles secousses. Nos protestations sont vaines. Il faut
nous contraindre a etre secoues dans la nacelle comme des feuilles de
salade qu'on egoutte dans un panier.
En quelques minutes la nacelle a quitte la Seine, nous sommes suspendus
au-dessus des peupliers qui bordent le chemin de halage. Nous disons aux
mariniers de conduire le ballon dans un espace libre d'arbres. Ils se
mettent tous en marche aux cris du "_oh hisse!_" familier aux bateliers.
Notre ancre est encore pendante et s'accroche a un peuplier, d'ou il faut
la deloger. C'est tout un travail. Mais nous tranchons ce noeud gordien
comme l'aurait fait Alexandre lui-meme. Nous faisons tirer les cables
de l'aerostat, par nos remorqueurs, de toute la force de leurs biceps.
L'arbre cede et se casse, non sans une violente secousse de notre esquif.
Mais en vrais _loups d'air_, il ne faut pas regarder aux torgnioles!
On arrive enfin au village d'Heurtrauville, dont les maisons assises
coquettement au pied d'une immense falaise, bordent le cours de la Seine.
L'aerostat est ramene a terre sur la berge, les sacs de lest vides sont
remplis de sable, on les entasse dans le panier d'osier, qu'ils rivent au
sol. Nous mettons pied a terre.
Les femmes, qui nous prenaient pour des Prussiens, se sont vite detrompees
en nous entendant parler le langage qui leur est familier. Mais elles
se figurent maintenant que nous sommes envoyes par le gouvernement pour
enlever _leurs hommes_, et les enroler dans l'armee. Decidement ces braves
Normandes voient dans l'aerostat un oiseau de mauvais augure. Il parait
que nos mines ne sont pas trop suspectes, car nos explications ne tardent
pas a rassurer sur nos intentions la plus belle moitie du village
d'Heurtrauville.
Voila un groupe de paysans qui s'avance avec la gravite de presidents de
cour. Ce sont des membres du conseil municipal precedes de M. le maire.
Ils nous demandent nos papiers. Braves gens les Normands, mais un peu
mefiants. L'un d'eux prend connaissance des pieces qui nous ont ete
donnees par le gouvernement, il les examine avec le serieux d'un changeur
qui flairerait un faux billet de banque.
--C'est bien, Messieurs, nous sommes a votre disposition.
Nous demandons un piquet de six gardes nationaux pour etre de faction
pendant la nuit autour du ballon, pour empecher les fumeurs d'y mettre le
feu, et les curieux de s'en approcher.
M. le maire donne ses ordres au commandant de pla
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