bres et impriment de violentes secousses a notre
nacelle. Nous entendons distinctement le frolement des cordes contre les
feuilles. Elles glissent dans les branches en imitant le murmure d'un
ruisseau qui coule sur un lit de cailloux. Quelquefois un bruit sec se
fait entendre; il est suivi d'un brusque soubresaut de l'aerostat; c'est
un de nos cables qui s'est enroule autour d'une branche qu'il a brisee
comme un fetu de paille.
L'aspect de la foret est celui d'un immense lit de mousse, car vus d'en
haut, les arbres perdent leur grandeur, on n'en apercoit que les cimes.
On serait presque tente de sauter a pied joint sur ce duvet qui repose la
vue. Au milieu des bois quelques lueurs paraissent comme des etoiles qui
brilleraient en un ciel sombre. Ce sont des paysans qui allument la lampe
dans leur chaumiere. Se doutent-ils qu'un regard leur est lance du ciel?
Nous ne voulons pas descendre au milieu de la foret, dans la crainte de
mettre en pieces le _Jean-Bart_. Quelques poignees de lest nous font
remonter a un demi kilometre dans l'air; mais voila qu'une circonstance
inattendue va prolonger malgre nous notre voyage, en nous entrainant
encore une fois dans les regions superieures.
La lune vient de se lever au milieu de l'atmosphere. Elle dissipe les
vapeurs suspendues dans l'air; enleve-t-elle aussi l'humidite fixee
aux cordages, a l'etoffe du _Jean-Bart_? Nous le supposons, car nous
remontons, lentement il est vrai, mais sans jeter la moindre parcelle de
lest, a une hauteur de 2,400 metres.
La scene qui s'offre a nos regards pour avoir change d'aspect n'en est
pas moins belle, moins saisissante. L'astre des nuits trone sous un dais
d'argent, forme par une voute de nuages etincelants. Jusqu'a perte de vue,
ses rayons caressent la surface des vapeurs atmospheriques, les decoupent
comme en ecailles irisees, et s'y refletent sur le fond obscur des regions
inferieures. Il fait ici un froid penetrant, intense, nous nous couvrons
de nos fourrures, mais nos pieds et nos mains sont litteralement geles.
L'action de l'abaissement de temperature se fait sentir d'autant plus
qu'il y a plus longtemps que nous sommes immobiles, nous finissons par
subir les epreuves d'un reel malaise. La lueur indecise de la lune lance
sur notre aerostat de faibles rayons qui ne suffisent plus a eclairer
notre barometre. Nous distinguons a peine son aiguille d'acier.
Navigateurs sans boussole, nous errons au hasard dans l'immensite de
l'atmospher
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