lin, et destine a boucher les joints de la soupape;
en ma qualite de chimiste, j'ai parfaitement reussi cette petite cuisine.
Nous descendons nous-memes les sacs de lest autour du filet; le ballon est
couvert d'huile, et nos vetements ne tardent pas a etre aussi luisants que
notre aerostat. Il n'est decidement pas agreable de seller soi-meme le
cheval qu'on doit monter, et surtout de cirer ses harnais!
Mon frere montre le ballon a un inventeur avec lequel nous avons dine la
veille, a l'_Hotel d'Angleterre_. Il nous expliquait son systeme avec un
enthousiasme fougueux.--"Je veux reunir, disait-il, un grand nombre de
ballons, dans une charpente legere ayant forme de navire; mon appareil,
muni de mats, de voilures, pourra louvoyer dans les airs!" En face de
nous, un Anglais souriait. J'ai su depuis que c'etait un des plus celebres
ingenieurs de la Grande-Bretagne.
En voyant le _Jean-Bart_, la tenuite de l'etoffe aerostatique, en
s'apercevant que l'appareil oscille si facilement sous le moindre souffle
de l'air, l'inventeur a enfin ouvert les yeux. Il est gueri de sa folie!
Je ne m'attendais pas a voir mon frere faire une cure aussi merveilleuse!
A cinq heures, le _Jean-Bart_ est gonfle.
J'observe attentivement les nuages, leur direction, ma boussole et
ma carte a la main. Connaissant l'angle de Rouen avec le meridien
astronomique, et la declinaison, je puis tracer sur le sol une ligne
qui s'etend vers le centre de Paris. Nous partirons quand les nuages se
dirigeront suivant cette ligne, quand nos petits ballons d'essai prendront
bien cette direction. Les conditions atmospheriques ne permettent pas
encore de lancer le ballon dans l'espace. Attendons le nord-ouest;
beaucoup d'habitants de Rouen regardent comme nous le ciel, les
girouettes, et se demandent: "Quand le vend nord-ouest soufflera-t-il?"
Les nouvelles que l'on apprend le soir au bureau du telegraphe ne sont
pas tres rassurantes. Les Prussiens sont a sept lieues de Rouen. Si notre
depart est ajourne, il serait bien possible que les aeronautes soient
deloges de Rouen, comme ils l'ont ete de Chartres. Pendant la nuit, nous
faisons, mon frere et moi, une serie de reflexions tantot agreables,
tantot peu rassurantes. Mais notre imagination ouvre Paris a nos yeux. La
possibilite du succes fait oublier celle d'un echec. On a fait courir le
bruit que les Prussiens condamnaient a mort les aeronautes qu'ils avaient
pris, et, dans nos reves, nous nous voyons parfois
|