fusilles comme des
espions! Mais qu'est-ce que la vie a de tels moments? Ne les compte-t-on
pas par milliers, les heros qui meurent sur le champ de bataille? Ne
saurons-nous pas, s'il le faut, nous aventurer aussi bien dans la nacelle
d'un ballon que pres de l'affut d'un canon.
Le lendemain, 7 novembre, nous gommes reveilles en sursaut. C'est un
ancien marin qui a surveille le gonflement et qui entre precipitamment
dans notre chambre.
--Messieurs, dit-il tout emu, je crois que le vent souffle vers Paris;
voyez donc si je ne me trompe pas!
D'un bond je me precipite sur le balcon de l'hotel ou nous logeons. Les
nuages se refletent dans la Seine qui s'etend sous mes yeux; ils se
dirigent bien, en effet, vers le sud-est, mais il est de toute necessite
de confirmer cette observation en lancant des ballons d'essai.
Nous courons a l'usine a gaz. Un petit ballon de caoutchouc est gonfle,
lance dans l'espace, le vent de terre le jette d'abord au-dessus de nos
tetes, mais le courant superieur lui fait decrire dans le ciel une ligne
parallele a celle que j'ai tracee sur le sol et qui donne la route de
Paris! Nos coeurs bondissent de joie, d'emotion, d'esperance.
L'inspecteur du telegraphe est prevenu a la hate, il annonce a Tours notre
depart; une heure apres on remet entre nos mains la derniere instruction
du gouvernement[5].
[Note 5: Voici la depeche qui nous a ete remise au moment du depart:
"Extreme urgence, Rouen de Tours--Directeur general a inspecteur
Rouen--Dites a Tissandier de partir et de dire a Paris, a nos amis, que
nous sommes prets a mourir tous pour sauver l'honneur du pays."]
Le directeur de la poste ne tarde pas a accourir avec un nouveau sac de
lettres importantes. Nous rentrons precipitamment a l'hotel prendre nos
paquets; notre voiture est suivie dans la rue par une foule considerable,
et grand nombre de Rouennais nous mettent dans la main leurs dernieres
lettres pour Paris.
A onze heures, mon frere et moi nous montons dans la nacelle. Le vent n'a
pas varie depuis le matin. Nos sacs de depeches sont attaches au bordage
exterieur. Notre malle, nos couvertures pendent au cercle du ballon. Une
foule si compacte entoure l'aerostat que nous procedons avec peine a
l'equilibrage. On jette a meme dans la nacelle les dernieres lettres. Une
vieille devote remet a mon frere une medaille benite et une priere qui,
dit-elle, nous porteront bonheur.
Un monsieur tres-bien mis me donne un papier plie que j'o
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