s
charger de porter a Paris la petite lettre que vous trouverez sous ce
pli?" En quelques jours, j'ai rempli de lettres pour la capitale tout un
tiroir de ma commode. Les gens plus oses, plus indiscrets, viennent nous
voir a l'hotel et nous demandent a porter des paquets. On se figure qu'a
nous seuls nous representons les messageries. Je n'oublierai jamais un
monsieur que je n'avais jamais vu et qui vient me reveiller a six heures
du matin. Il me supplie de prendre la clef de son appartement a Paris pour
visiter ses meubles, et de lui dire a mon retour si son mobilier est
en bon etat. Il me charge en outre de rassurer sa bonne, qui doit etre
tres-inquiete sur son sort. Je n'avais jamais ferme une porte sur le nez
de personne, mais ce jour-la, je me suis offert avec delices cette petite
satisfaction.
Pendant que les lettres pleuvent sur nos tetes comme la grele au mois de
mars, mon frere et moi nous nous occupons de faire tous nos preparatifs.
La construction du ballon de soie, malgre les efforts de Duruof, traine en
longueur; la commission scientifique nous engage a ne pas attendre plus
longtemps. Mon frere va chercher son ballon le _Jean-Bart_ qui est reste a
Dijon, et M. Revilliod, qui a appris nos projets, se propose spontanement
pour tenter un voyage. D'apres les renseignements fournis par
l'Observatoire, il y a des chances pour que le vent sud-ouest regne
longtemps en France a cette epoque; c'est a Chartres que s'executera la
premiere tentative. La commission me prie de fournir mon concours au
depart de M. Revilliod, pendant que mon frere court apres le ballon qui
devra plus tard nous servir a nous-memes.
Je fais l'acquisition d'une bonne boussole. M. Marie Davy, de
l'Observatoire, me donne l'angle de route de Paris a Chartres. Nous
emballons un aerostat, nous prenons une provision de ballons en papier
qui nous serviront a examiner la direction du vent. Nous allons voir M.
Steenackers qui nous confie des depeches, nous donne toutes les lettres de
recommandations, de requisitions, propres a faciliter le depart, et
nous voila bientot partis, Revilliod, Gabriel Mangin qui se chargera du
gonflement et moi. Nous etions loin de soupconner les aventures qui nous
attendaient!
_Jeudi 20 octobre_.--Nous sommes a Chartres. L'Observatoire s'est montre
prophete. Le vent souffle du sud-ouest, Mangin gonfle de suite le ballon.
Il a fallu se donner bien du mouvement pour obtenir douze cents metres
de gaz seance tenante, car
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