Pres de la nous apercevons un immense convoi de munitions
qui couvre les routes entieres; il est suivi d'une infinite de petites
charrettes couvertes de baches blanches; des uhlans l'accompagnent
en grand nombre. A la vue de notre aerostat, ils s'arretent, et nous
devinons, malgre la distance qui nous eloigne, qu'ils nous jettent un
regard de haine et de depit."
"Cependant le soleil echauffe nos toiles, et dilate le gaz qui les gonfle;
les rayons ardents nous donnent des ailes, nous bondissons vers les plages
aeriennes superieures, et bientot la terre disparait a nos yeux. Quelle
splendeur incomparable, quelle munificence innommee dans cette mer de
nuages que semblent terminer des franges argentees aux eclats vraiment
eblouissants! Au milieu du silence et du calme, nous admirons ces sublimes
decors du ciel, et pendant quelques secondes nous perdons de vue les
miseres terrestres. Je charge M. Ferrand de surveiller le barometre
pendant que je dessine la scene grandiose qui s'offre a ma vue."
"Mais voila la nuit qui couvre de son manteau le ciel et la campagne. Il
faut songer a revenir a terre, regagner le plancher des braves defenseurs
de la patrie. Nous voyons accourir des paysans qui nous crient a tue-tete:
"Il n'y a pas de Prussiens ici! Vous etes pres de Nogent-sur-Seine, a
Montpothier; descendez vite!" Tous ces cris nous decident enfin, et nous
tombons pour ainsi dire dans les bras de nos braves amis sans aucune
secousse."
"Grace a leur aide obligeante, a celle de leur cure, dont nous ne saurions
oublier l'accueil touchant, nous emportons vivement depeches et ballon.
"Les Prussiens ne sont pas loin, disent-ils; ils vous ont vu descendre, et
peuvent vous surprendre. Allez-vous-en au plus vite." C'est ce que nous
nous empressons de faire, et nous arrivons chez le sous-prefet de Nogent,
M. Ebling. Une reception enthousiaste nous est offerte; nous le quittons
bientot, ne voulant pas perdre un seul instant pour gagner Tours, ou notre
devoir nous appelle."
"Nous sommes obliges de faire un detour immense, de passer par Troyes,
Dijon, Nevers, Bourges, pour arriver enfin a bon port."
A peine nous sommes-nous retrouves, mon frere et moi, que nous ne parlons
plus que du retour a Paris,--notre enthousiasme partage se multiplie par
deux, nous voudrions deja etre en l'air!
Comme certains details d'organisation pour le retour aerien ne marchent
pas a mon gre, je me decide a demander une entrevue a M. Gambetta.
J'arrive
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