vous ne pourrez lire! Mais je me rappelle au meme moment qu'il m'a ete
remis 10,000 proclamations imprimees en allemand a l'adresse de l'armee
ennemie.
J'en empoigne une centaine que je lance par dessus bord; je les vois
voltiger dans l'air en revenant lentement a terre; j'en jette a plusieurs
reprises un millier environ, gardant le reste de ma provision pour les
autres Prussiens que je pourrai rencontrer sur ma route.
Que contenait cette proclamation? Quelques paroles simples disant a
l'armee allemande que nous n'avions plus chez nous ni empereur, ni roi,
et que s'ils avaient le bon sens de nous imiter, on ne se tuerait plus
inutilement comme des betes sauvages. Paroles sensees, mais jetees au
vent, emportees par la brise comme elles sont venues!
Le _Celeste_ se maintient a 1,600 metres d'altitude; je n'ai pas a jeter
une pincee de lest, tant le soleil est ardent; car il n'est pas douteux
que mon ballon fuit, et, sans la chaleur exceptionnelle de l'atmosphere,
mon mauvais navire n'aurait pas ete long a descendre avec rapidite, et
peut-etre au milieu des Prussiens. En quittant Versailles, je plane
au-dessus d'un petit bois dont j'ignore le nom et l'exacte position. Tous
les arbres sont abattus au milieu du fourre; le sol est aplani, une double
rangee de tentes se dressent des deux cotes de ce parallelogramme. A peine
le ballon passe-t-il au-dessus de ce camp, j'apercois les soldats qui
s'alignent; je vois briller de loin les baionnettes; les fusils se levent
et vomissent l'eclair au milieu d'un nuage de fumee.
Ce n'est que quelques secondes apres que j'entends au-dessous de la
nacelle le bruit des balles et la detonation des armes a feu. Apres, cette
premiere fusillade, c'en est une autre qui m'est adressee, et ainsi de
suite jusqu'a ce que le vent m'ait chasse de ces parages inhospitaliers.
Pour toute reponse, je lance a mes agresseurs une veritable pluie de
proclamations.
C'est un panorama toujours nouveau qui se deroule aux yeux de l'aeronaute;
suspendu dans l'immensite de l'espace, la terre se creuse sous la nacelle
comme une vaste cuvette dont les bords se confondent au loin avec la voute
celeste. On n'a pas le loisir de contempler longtemps le meme paysage
quand le vent est rapide; si le puissant aquilon vous entraine, la scene
terrestre est toujours nouvelle, toujours changeante. Je ne tarde pas
a voir disparaitre les Prussiens qui ont perdu leur poudre contre moi:
d'autres tableaux m'attendent. J'aperco
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