nnade, dont le grondement sourd et puissant, tout a la fois,
monte jusqu'a mes oreilles comme un concert lugubre. Les forts d'Issy et
de Vanves m'apparaissent comme des forteresses en miniature; bientot je
passe au-dessus de la Seine, en vue de l'ile de Billancourt.
Il est 9 heures 50; je plane a 1,000 metres de haut; mes yeux ne se
detachent pas de la campagne, ou j'apercois un spectacle navrant qui ne
s'effacera jamais de mon esprit. Ce ne sont plus ces environs de Paris,
riants et animes, ce n'est plus la Seine, dont les bateaux sillonnent
l'onde, ou les canotiers agitent leurs avirons. C'est un desert, triste,
denude, horrible. Pas un habitant sur les routes, pas une voiture, pas
un convoi de chemin de fer. Tous les ponts detruits offrent l'aspect de
ruines abandonnees, pas un canot sur la Seine qui deroule toujours son
onde au milieu des campagnes, mais avec tristesse et monotonie. Pas un
soldat, pas une sentinelle, rien, rien, l'abandon du cimetiere. On se
croirait aux abords d'une ville antique, detruite par le temps; il faut
forcer son souvenir pour entrevoir par la pensee les deux millions
d'hommes emprisonnes pres de la dans une vaste muraille! LE CELESTE.
Il est dix heures; le soleil est ardent et donne des ailes a mon ballon;
le gaz contenu dans le _Celeste_ se dilate sous l'action de la chaleur;
il sort avec rapidite par l'appendice ouvert au-dessus de ma tete, et
m'incommode momentanement par son odeur. J'entends un leger roucoulement
au-dessus de moi. Ce sont mes pigeons qui gemissent. Ils ne paraissent
nullement rassures et me regardent avec inquietude.
--Pauvres oiseaux, vous etes mes seuls compagnons; aeronautes improvises,
vous allez defier tous les marins de l'air, car vos ailes vous dirigeront
bientot vers Paris, que vous quittez, et nos ballons sauront-ils y
revenir?
L'aiguille de mon barometre Breguet tourne assez vite autour de son
cadran, elle m'indique que je monte toujours..., puis elle s'arrete au
point qui correspond a une altitude de 4,800 metres au-dessus du niveau de
la mer.
Il fait ici une chaleur vraiment insupportable: le soleil me lance ses
rayons en pleine figure et me brule; je me desaltere d'un peu d'eau. Je
retire mon paletot, je m'assieds sur mes sacs de depeches, et le coude
appuye sur le bord de la nacelle, je contemple en silence l'admirable
panorama qui s'etale devant moi.
Le ciel est d'un bleu indigo; sa limpidite, son ton chaud, colore, me
feraient croire que je
|