foi, le
sort en est jete. Pas d'hesitations! Mon frere surveille toujours la
reparation du ballon, il bouche les trous avec une attention dont il ne se
sentirait pas capable, s'il travaillait pour lui-meme: la besogne qu'il
execute si bien, me rassure. Il est certain que je prefererais un bon
ballon, tout frais verni et tout neuf, mais je me suis toujours persuade
qu'il y avait un Dieu pour les aeronautes. Je me laisse conduire par ma
destinee, les yeux bien ouverts, le coeur et les bras resolus. Je ne puis
m'empecher de penser a mon dernier voyage aerien. C'etait le 27 juin 1869,
au milieu du Champ de Mars. Je partais avec huit voyageurs dans l'immense
ballon _le Pole Nord_. Qui aurait pu soupconner, alors, la necessite
future des ballons-poste!
A 9 heures, le ballon est gonfle, on attache la nacelle. J'y entasse des
sacs de lest et trois ballots de depeches pesant 80 kilog.
On m'apporte une cage contenant trois pigeons.
--Tenez, me dit Van Roosebeke, charge du service de ces precieux
messagers, ayez bien soin de mes oiseaux. A la descente, vous leur
donnerez a boire, vous leur servirez quelques grains de ble. Quand ils
auront bien mange, vous en lancerez deux, apres avoir attache a une plume
de leur queue la depeche qui nous annoncera votre heureuse descente. Quant
au troisieme pigeon, celui ci qui a la tete brune, c'est un vieux malin
que je ne donnerais pas pour cinq cents francs. Il a deja fait de grands
voyages. Vous le porterez a Tours. Ayez-en bien soin. Prenez garde qu'il
ne se fatigue en chemin de fer.
Je monte dans la nacelle au moment ou le canon gronde avec une violence
extreme. J'embrasse mes freres, mes amis. Je pense a nos soldats qui
combattent et qui meurent a deux pas de moi. L'idee de la patrie en danger
remplit mon ame. On attend la-bas ces ballots de depeches qui me sont
confies. Le moment est grave et solennel; nul sentiment d'emotion ne
saurait plus m'atteindre. Lachez tout!
Me voila flottant au milieu de l'air!
* * * * *
Mon ballon s'eleve dans l'espace avec une force ascensionnelle
tres-moderee. Je ne quitte pas de vue l'usine de Vaugirard et le groupe
d'amis qui me saluent de la main: je leur reponds de loin en agitant
mon chapeau avec enthousiasme, mais bientot l'horizon s'elargit. Paris
immense, solennel, s'etend a mes pieds, les bastions des fortifications
l'entourent comme un chapelet; la, pres de Vaugirard, j'apercois la fumee
de la cano
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