ur les dix heures, je vis venir un general a cheval; je crois que
c'etait le general Pernetty[16]. Il conduisait, devant son cheval, un
individu jeune encore, vetu d'une capote de peau de mouton, serree
avec une ceinture de laine rouge. Le general me demanda si j'etais le
chef du poste, et, sur ma reponse affirmative, il me dit: "C'est bien!
Vous allez faire perir cet homme a coups de baionnette; je viens de le
surprendre, une torche a la main, mettant le feu au palais ou je suis
loge!"
[Note 16: J'ai su, depuis, que c'etait bien le general Pernetty,
commandant les canonniers a pied de la Garde imperiale. (_Note de
l'auteur_.)]
Aussitot, je commandai quatre hommes pour l'execution de l'ordre du
general. Mais le soldat francais est peu propre pour des executions
semblables, de sang-froid: les coups qu'ils lui porterent ne
traverserent pas sa capote; nous lui aurions sans doute sauve la vie,
a cause de sa jeunesse (et puis il n'avait pas l'air d'un forcat),
mais le general, toujours present, afin de voir si l'on executait ses
ordres, ne partit que lorsqu'il vit le malheureux tomber d'un coup de
fusil dans le cote, qu'un soldat lui tira, plutot que de le faire
souffrir par des coups de baionnette. Nous le laissames sur la place.
Un instant apres, arriva un autre individu, habitant de Moscou,
Francais d'origine, et Parisien, se disant proprietaire de
l'etablissement des bains. Il venait me demander une sauvegarde, parce
que, disait-il, on voulait mettre le feu chez lui. Je lui donnai
quatre hommes, qui revinrent un instant apres, en disant qu'il etait
trop tard, que cet etablissement spacieux etait tout en flammes.
Quelques heures apres notre malheureuse execution, les hommes du poste
vinrent me dire qu'une femme, passant sur la place, s'etait jetee sur
le corps inanime du malheureux jeune homme. Je fus la voir; elle
cherchait a nous faire comprendre que c'etait son mari, ou un parent.
Elle etait assise a terre, tenant la tete du mort sur ses genoux, lui
passant la main sur la figure, l'embrassant quelquefois, et sans
verser une larme. Enfin, fatigue de voir une scene qui me saignait le
coeur, je la fis entrer ou etait le poste; je lui presentai un verre
de liqueur qu'elle avala avec plaisir, et puis un second, ensuite un
troisieme, et tant que l'on voulut lui en donner. Elle finit par nous
faire comprendre qu'elle resterait pendant trois jours ou elle etait,
en attendant que l'individu mort soit ressuscite; en cela
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