e, et, en effet, elle a etonne les hommes de l'ecole de 1660,
les Boileau et La Bruyere. Ce "Cydias", ce "petit Fontenelle" leur est
souverainement desagreable, et leur parait etrange. Le phenomene, de
soi, n'est pas surprenant. Fontenelle est l'_homme de lettres_ par
excellence, l'homme intelligent qui n'a en lui aucune force creatrice,
mais qui est doue d'une grande facilite d'assimilation et d'execution.
Ces gens-la ne devancent jamais, en choses d'art; ils imitent, et
non pas toujours la derniere maniere, celle de leurs predecesseurs
immediats. N'ayant point d'inspiration personnelle, ils s'en sont fait
une avec les objets de leurs premieres admirations et de leurs premieres
etudes, et cette influence, chez eux, persiste longtemps. Fontenelle,
en litterature pure, est un homme qui adore l'_Astree_, comme fait La
Fontaine, mais qui ne sait pas, comme La Fontaine, la transformer en
lui. Il la reedite, et, n'etait une autre direction que son esprit
devait prendre, il aurait toujours ecrit l'opera de _Psyche_, moins les
deux ou trois passages partis du coeur, c'est-a-dire une _Astree_ un peu
moins longue.--Sa critique est comme ses poesies, et les explique
bien. Le sentiment du grand art y manque absolument.--Et il est tres
intelligent!--Sans aucun doute; mais c'est une erreur de croire qu'il ne
faille pour comprendre les choses d'art que de l'intelligence. Il y faut
un commencement de faculte creatrice, un grain de genie artistique,
juste la vertu d'imagination et de sensibilite qui, plus forte d'un
degre, ou de dix, au lieu de comprendre les oeuvres d'art, en ferait
une. On n'entend bien, en pareille affaire, que ce qu'on a songe a
accomplir, et ce qu'on est a la fois impuissant a realiser et capable
d'ebaucher. Le critique est un artiste qui voit realise par un autre
ce qu'il n'etait capable que de concevoir; mais pour qu'il le voie, il
fallait qu'il put au moins le rever.--Fontenelle n'a pas meme eu le reve
du grand art. Il n'aime point l'antiquite. Il lui fait une petite guerre
indiscrete, ingenieuse et taquine, qui n'a point de treve. A chaque
instant, dans les ouvrages les plus divers, nous lisons: "... Et voila
les raisonnements de cette antiquite si vantee"[10].--"Nous ne sommes
arrives a aucune absurdite aussi considerable que les anciennes fables
des Grecs; mais c'est que nous ne sommes point partis d'abord d'un
point si absurde"[11].--Il faut se debarrasser "du prejuge grossier de
l'antiquite"[12]. Il y a la p
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