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jeunes cervelles. Le mal ne serait pas grand encore, si les lecons
s'appuyaient sur la verite; mais, comme elles ont la seule autorite de
l'usage et de la tradition, elles arrivent a dedoubler la personne du
comedien, a lui laisser son allure et sa voix personnelles a la ville,
et a lui donner pour le theatre une allure et une voix de convention.
Ce fait est connu de tous. Le comedien est irremediablement frappe chez
nous d'une dualite qui le fait reconnaitre au premier coup d'oeil.
J'ignore le remede. Je crois qu'il faudrait etudier plus sur la nature
et moins dans le repertoire. Les livres ne valent jamais rien pour
l'education de l'artiste. En outre, on devrait peu a peu amener les
eleves a un souci constant de la verite. L'art de declamer tue notre
theatre, parce qu'il repose sur une pose continue, contraire au vrai.
Si les professeurs voulaient mettre de cote leur personnalite, ne pas
enseigner comme des articles de foi les effets qui leur ont reussi
journellement au theatre, il est a croire que les eleves ne
perpetueraient pas ces effets a leur tour et cederaient au courant
naturaliste qui transforme aujourd'hui tous les arts. La vie sur les
planches, la vie sans mensonge avec sa bonhomie et sa passion, tel doit
etre le but.
Le public est en dehors de la querelle. Il acceptera ce que le talent
lui fera accepter. Il faut avoir ecrit une piece et l'avoir fait repeter
pour connaitre la disette ou nous sommes de comediens intelligents,
consentant a jouer simplement les choses simples, sentant et rendant la
verite d'un role, sans le gater par des effets odieux, que le public
applaudit depuis deux siecles.
III
L'autre soir, au Theatre-Italien, j'ai eprouve une des plus fortes
emotions dont je me souvienne. Salvini jouait dans un drame moderne: la
_Mort civile_.
Je l'avais vu dans _Macbeth_, et je m'etais recuse, n'ayant rien a dire,
si ce n'etait des lieux communs. Je laisse Shakespeare dans sa gloire,
j'avoue ne plus le comprendre quand on le joue sur nos planches
modernes, en italien surtout, devant un public qui se fouette pour
admirer. Cela m'est indifferent, parce que cela se passe trop loin de
moi, dans la nue. Et quant a l'interpretation, elle me deroute plus
encore. J'ecrirai que c'est sublime, mais je reste glace. Un sens me
manque peut-etre.
Enfin, j'ai vu Salvini dans la _Mort civile_, et je vais pouvoir le
juger. Je n'ai plus besoin de phrases toutes faites, qui me repugnent et
devant le
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