pelle: "Mon pere", il a un retour de vie, un eclair de joie sur son
visage deja mort, d'un charme douloureux; et ses mains tremblent, et sa
tete se penche, secouee par le rale, tandis que ses derniers mots se
perdent et ne s'entendent plus. Sans doute, on a fait souvent cela au
theatre, mais jamais, je le repete, avec une pareille intensite de
verite. Enfin, Salvini a eu une trouvaille de genie: il est etendu dans
un fauteuil, et lorsqu'il expire, la tete penchee vers Emma, il semble
s'ecrouler, son poids l'emporte, il culbute et vient rouler devant le
trou du souffleur, pendant que les personnages presents s'ecartent en
poussant un cri. Il faut etre un bien grand comedien pour oser cela.
L'effet est inattendu et foudroyant. La salle entiere s'est levee,
sanglotant et applaudissant.
La troupe qui donne la replique a Salvini est tres suffisante. Ce que
j'ai beaucoup remarque, c'est la facon convaincue dont jouent ces
comediens italiens. Pas une fois, ils ne regardent le public. La salle
ne semble point exister pour eux. Quand ils ecoutent, ils ont les yeux
fixes sur le personnage qui parle, et quand ils parlent, ils s'adressent
bien reellement au personnage qui ecoute. Aucun d'eux ne s'avance
jusqu'au trou du souffleur, comme un tenor qui va lancer son grand air.
Ils tournent le dos a l'orchestre, entrent, disent ce qu'ils ont a dire
et s'en vont, naturellement, sans le moindre effort pour retenir les
yeux sur leurs personnes. Tout cela semble peu de chose, et c'est
enorme, surtout pour nous, en France.
Avez-vous jamais etudie nos acteurs? La tradition est deplorable sur nos
theatres. Nous sommes partis de l'idee que le theatre ne doit avoir rien
de commun avec la vie reelle. De la, cette pose continue, ce gonflement
du comedien qui a le besoin irresistible de se mettre en vue. S'il
parle, s'il ecoute, il lance des oeillades au public; s'il veut detacher
un morceau, il s'approche de la rampe et le debite comme un compliment.
Les entrees, les sorties sont reglees, elles aussi, de facon a faire
un eclat. En un mot, les interpretes ne vivent pas la piece; ils la
declament, ils tachent de se tailler chacun un succes personnel, sans se
preoccuper le moins du monde de l'ensemble.
Voila, en toute sincerite, mes impressions. Je me suis mortellement
ennuye a _Macbeth_, et je suis sorti, ce soir la, sans opinion nette sur
Salvini. Dans la _Mort civile_, Salvini m'a transporte; je m'en suis
alle etrangle d'emotion. Certes, l'a
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