a scene
feignent d'ecouter religieusement. En un mot, un acteur ne hasarde pas
une enjambee, ne lache pas une phrase, sans que cette enjambee et cette
phrase ne hurlent de faussete. J'excepte seulement les grands cris de
passion et de verite que jettent parfois les artistes de genie.
Je sais quelle est la reponse. Le theatre, dit-on, vit uniquement de
convention. Si les acteurs tapent du pied, forcent leur voix, c'est pour
qu'on les entende; s'ils exagerent les moindres gestes, c'est afin que
leurs effets depassent la rampe et soient vus du public. On en arrive
ainsi a faire du theatre un monde a part, ou le mensonge est non
seulement tolere, mais encore declare necessaire. On redige le code
etrange de l'art dramatique, on formule en axiomes les faussetes
les plus etonnantes. Les erreurs deviennent des regles, et l'on hue
quiconque n'applique pas les regles.
Notre theatre est ce qu'il est, cela me parait un simple fait; mais ne
pourrait-il pas etre autrement? Rien ne me fache comme le cercle etroit
ou l'on veut enfermer un art. Certes, en dehors de l'heure presente, il
y a le vaste monde qui garde une grande importance. Si l'on a le seul
desir de reussir au theatre, d'etudier ce qui plait au public et de lui
servir le plat qu'il aime et auquel il est habitue, sans doute il faut
se conformer a la formule actuelle. Mais si l'on est blesse par cette
formule, si l'on croit que la tradition a tort et qu'il faudrait
accoutumer le public a un art plus logique et plus vrai, il n'y a
certainement aucun crime a tenter l'experience. Aussi suis-je toujours
stupefie, quand j'entends les critiques declarer gravement: "Ceci est du
theatre, cela n'est pas du theatre." Qu'en savent-ils? Tout l'art n'est
pas contenu dans une formule. Ce qu'il appelle le theatre, c'est un
theatre, et rien de plus. J'ajouterai meme un theatre bien defectueux,
etroit et mensonger dans ses moyens. Demain peut se produire une
nouvelle formule qui bouleversera la formule actuelle. Est-ce que le
theatre des Grecs, le theatre des Anglais, le theatre des Allemands est
notre theatre? Est-ce que, dans une meme litterature, le theatre ne
peut pas se renouveler, produire des oeuvres d'esprit et de facture
completement differents? Alors, que nous veut-on avec cette chose
abstraite, le theatre, dont on fait un bon Dieu, une sorte d'idole
feroce et jalouse qui ne tolere pas la moindre infidelite!
Rien n'est immuable, voila la verite. Les conventions sont ce qu'on l
|