ecle, dans les paillasses de foire, qui tendent le
derriere au coups de pied.
Oui, la tradition a cette force. Elle est pareille au sable fin qui
filtre quand meme et sans relache par les fissures les plus minces. La
source en est deja disparue lorsque les effets en subsistent encore. Ces
effets peuvent etre meconnaissables, transformes, devies, ils n'existent
pas moins, ils n'en sont pas moins tout puissants. Si, aujourd'hui,
notre theatre desespere les amis de la nature, la faute en est aux
ancetres, a la lente education de nos comediens, que la tradition
eloigne du vrai.
Un art ne se forme pas en un jour. Aussi, quand il est forme, a-t-il
une solidite de roc dans la routine. Cela explique comment il est si
difficile d'innover, de changer la direction suivie par plusieurs
generations. Aujourd'hui, le besoin de verite se fait sentir, au
theatre comme partout; mais, plus que partout, ce besoin y trouve des
resistances desesperees. On est habitue aux faussetes, aux conventions
de la scene; le gros public n'est pas choque; tous les effets faux le
ravissent, et il applaudit en criant a la verite; si bien meme que ce
sont les effets vrais qui le fachent et qu'il traite d'exagerations
ridicules. Le jugement du spectateur est perverti par une habitude
seculaire. De la, l'entetement dans la formule existante de l'art
dramatique.
Et Dieu sait ou nous en sommes comme verite au theatre, malgre le
mouvement naturaliste qui s'y accomplit fatalement! Je ne puis dresser
un requisitoire en regle, mais je citerai quelques exemples. J'ai deja
parle des entrees et des sorties qui sont le plus souvent operees en
depit du bon sens, trop lentes ou trop brusques, uniquement comprises
de facon a menager une salve d'applaudissements a l'acteur. Pourrait-on
m'indiquer, d'autre part, quelque chose de plus ridicule que les
passades du comedien, pendant une scene un peu longue? Pour couper les
effets, au milieu du dialogue, le comedien qui est a gauche traverse et
va a droite, tandis que le comedien qui est a droite, se rend a gauche,
sans aucun motif d'ailleurs. Cela est d'un bon resultat pour les yeux,
dit-on; c'est possible, mais ce continuel va-et-vient n'en est pas moins
tres comique et tres pueril. Il faudrait parler encore de la facon de
s'asseoir, de manger, de lancer dans la salle la replique destinee au
personnage qu'on a a cote de soi, de s'approcher du trou du souffleur
pour declamer la tirade a effet que les autres acteurs sur l
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