her enfin au grand jour. Faire l'histoire de
ce mouvement, avec les malentendus qui ont pu paraitre l'arreter,
les causes multiples qui l'ont precipite ou ralenti, ce serait faire
l'histoire du siecle lui-meme. Un courant irresistible emporte notre
societe a l'etude du vrai. Dans le roman, Balzac a ete le hardi et
puissant novateur qui a mis l'observation du savant a la place de
l'imagination du poete. Mais, au theatre, l'evolution semble plus lente.
Aucun ecrivain illustre n'a encore formule l'idee nouvelle avec nettete.
Certes, je ne dis point qu'il ne se soit pas produit des oeuvres
excellentes, ou l'on trouve des caracteres savamment etudies, des
verites hardies portees a la scene. Par exemple, je citerai certaines
pieces de M. Dumas fils, dont je n'aime guere le talent, et de M. Emile
Augier, qui est plus humain et plus puissant. Seulement, ce sont la des
nains a cote de Balzac; le genie leur a manque pour fixer la formule.
Ou qu'il faut dire, c'est qu'on ne sait jamais au juste ou un mouvement
commence, parce que ce mouvement vient d'ordinaire de fort loin, et
qu'il se confond avec le mouvement precedent, dont il est sorti. Le
courant naturaliste a existe de tout temps, si l'on veut. Il n'apporte
rien d'absolument neuf. Mais il est enfin entre dans une epoque qui lui
est favorable, il triomphe et s'elargit, parce que l'esprit humain est
arrive au point de maturite necessaire. Je ne nie donc pas le passe, je
constate le present. La force du naturalisme est justement d'avoir des
racines profondes dans notre litterature nationale, qui est faite de
beaucoup de bon sens. Il vient des entrailles memes de l'humanite, il
est d'autant plus fort qu'il a mis plus longtemps a grandir et qu'il se
retrouve dans un plus grand nombre de nos chefs-d'oeuvre.
Des faits se produisent, et je les signale. Croit-on qu'on aurait
applaudi l'_Ami Fritz_ a la Comedie-Francaise, il y a vingt ans? Non,
certes! Cette piece ou l'on mange tout le temps, ou l'amoureux parle
un langage si familier, aurait revolte a la fois les classiques et les
romantiques. Pour expliquer le succes, il faut convenir que les annees
ont marche, qu'un travail secret s'est fait dans le public. Les
peintures exactes qui repugnaient, seduisent aujourd'hui. La foule est
gagnee et la scene se trouve libre a toutes les tentatives. Telle est la
seule conclusion a tirer.
Ainsi donc, voila ou nous en sommes. Pour mieux me faire entendre,
j'insiste, je ne crains pas de me
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