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journaux anglais ont ete courtois, et nos journaux francais se sont
montres patriotes. Des lors, la Comedie-Francaise avait mille
fois raison de se risquer; elle partait pour un triomphe, pour le
demi-million de recettes qu'on vient de publier. Certes, je ne suis
guere chauvin de mon naturel; mais, personnellement, j'ai vu avec
plaisir nos comediens aller faire une experience interessante dans un
pays ou ils etaient certains d'etre bien recus, meme s'ils ne plaisaient
pas completement.
Cela me ramene a analyser les raisons qui ont amene le public anglais en
foule. Je ne crois pas a une passion litteraire bien forte. Il y a eu
plutot un courant de mode et de curiosite. Nous tenons, a cette heure,
en Europe, une situation litteraire de combat. Non seulement on nous
pille, mais on nous discute. Notre litterature souleve toutes sortes de
points sociaux, philosophiques, scientifiques; de la, le bruit qu'un de
nos livres ou qu'une de nos pieces fait a l'etranger. L'Allemagne et
l'Angleterre, par exemple, ne peuvent nous lire sans se facher souvent.
En un mot, notre litterature sent le fagot. Je suis persuade qu'une
bonne partie du public anglais a ete attiree par le desir de se rendre
enfin compte d'un theatre qu'il ne comprend pas. C'etait la les gens
serieux. Ajoutez les curieux mondains, ceux qui ecoutent une tragedie
francaise comme on ecoute un opera italien, ceux encore qui se piquent
d'etre au courant de notre litterature, et vous obtiendrez la foule qui
a suivi les representations du Gaiety's Theatre.
Et ce qui s'est passe prouve bien la verite de ce que j'avance. Tous les
critiques ont constate que nos tragedies classiques ont eu le succes
le plus vif. C'est que nos tragedies sont des morceaux consacres; les
Anglais sachant le francais les connaissent pour les avoir apprises par
coeur. Apres les tragedies, ce seraient les drames lyriques de Victor
Hugo qu'on aurait applaudis, et rien de plus explicable ici encore: la
musique du vers a tout emporte, ces drames ont passe comme des livrets
d'opera, grace a la voix superbe des interpretes, sans qu'on s'avisat
un instant de discuter la vraisemblance. Mais, arrives devant les
Fourchambault, de M. Emile Augier, et devant tout le theatre de M.
Dumas, les Anglais se sont cabres. On les derangeait brutalement dans
leur facon d'entendre la litterature, et ils n'ont plus montre qu'une
froide politesse.
L'experience est faite aujourd'hui. J'en suis bien heureux. Le voyag
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