jouer des chefs-d'oeuvre sans decors, nous sommes
ridicules d'exiger aujourd'hui, pour nos oeuvres mediocres, les lieux
exacts, avec un embarras extraordinaire d'accessoires. Et de la a parler
de la mode, il n'y a pas loin. Pour les critiques en question, il
semble que notre gout actuel, notre souci de la verite des milieux, de
l'illusion scenique poussee aux dernieres limites, ne soit qu'une pure
affaire de mode, un engouement du public qui passera. Ainsi, M. Sarcey
s'est demande pourquoi meubler un salon; ne peignait on pas tout dans le
decor autrefois? et il n'est pas eloigne de vouloir qu'on revienne a la
nudite ancienne, qui avait l'avantage de laisser la scene plus libre.
En effet, pourquoi ne retournerait-on pas au decor abstrait, si rien
ne nous en empeche, s'il n'y a dans nos complications actuelles qu'un
caprice? M. Sarcey, avec son bon sens pratique, fait valoir tous les
avantages: l'economie, les pieces montees plus vite, la litterature
epuree et triomphant seule.
Mon Dieu! cela est fort juste, fort raisonnable. Mais, si nous ne
retournons pas au decor abstrait, c'est que nous ne le pouvons pas, tout
bonnement. Il n'y a pas le moindre engouement dans notre fait. Le decor
exact s'est impose de lui-meme, peu a peu, comme le costume exact. Ce
c'est pas une affaire de mode, c'est une affaire d'evolution humaine et
sociale. Nous ne pouvons pas plus revenir aux ecriteaux de Shakespeare,
que nous ne pouvons revivre au seizieme siecle. Cela nous est defendu.
Sans doute des chefs-d'oeuvre ont pousse dans cette convention du decor;
car ils etaient la comme dans leur sol naturel; mais, ce sol n'est plus
le notre, et je defie un auteur dramatique d'aujourd'hui de rien creer
de vivant, s'il ne plante pas solidement son oeuvre dans notre terre du
dix-neuvieme siecle.
Comment un homme de l'intelligence de M. Sarcey ne tient-il pas compte
du mouvement qui transforme continuellement le theatre? Il est tres
lettre, tres erudit; il connait comme pas un notre repertoire ancien
et moderne; il a tous les documents pour suivre l'evolution qui s'est
produite et qui continue. C'est la une etude de philosophie litteraire
qui devrait le tenter. Au lieu de s'enfermer dans une rhetorique
etroite, au lieu de ne voir dans le theatre qu'un genre soumis a
des lois, pourquoi n'ouvre-t-il pas sa fenetre toute grande et ne
considere-t-il pas le theatre comme un produit humain, variant avec les
societes, s'elargissant avec les sciences, alla
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