, un individu qui a pousse dans un
milieu special; et Balzac a du peindre le milieu, et nous n'avons pas
seulement avec lui l'abstraction philosophique de l'avarice, nous avons
l'avarice etudiee dans ses causes et dans ses resultats, toute la
maladie humaine et sociale. Voila en presence la conception litteraire
du dix-septieme siecle et celle du dix-neuvieme: d'un cote, l'homme
abstrait, etudie hors de la nature; de l'autre, l'homme d'apres la
science, remis dans la nature et y jouant son role strict, sous des
influences de toutes sortes.
Eh bien! il devient des lors evident que, si Harpagon peut jouer son
drame dans n'importe quel lieu, dans un decor quelconque, vague et mal
peint, le pere Grandet ne peut pas plus jouer le sien en dehors de
sa maison, de son milieu, qu'une tortue ne saurait vivre hors de sa
carapace. Ici, le decor fait partie integrante du drame; il est de
l'action, il l'explique, et il determine le personnage.
La question des decors n'est pas ailleurs. Ils ont pris au theatre
l'importance que la description a prise dans nos romans. C'est montrer
un singulier entetement dans l'absolu, que de ne pas comprendre
l'evolution fatale qui s'est accomplie, et la place considerable qu'ils
tiennent legitimement aujourd'hui dans notre litterature dramatique. Ils
n'ont cesse depuis deux cents ans de marcher vers une exactitude de plus
en plus grande, du meme pas d'ailleurs et au travers des memes obstacles
que les costumes. A cette heure, la verite triomphe partout. Ce n'est
pas que nous soyons arrives a un emploi sage de cette verite des
milieux. On sacrifie plus a la richesse et a l'etrangete qu'a
l'exactitude. Ce que je voudrais, ce serait, chez les auteurs
dramatiques, un souci du decor vrai, uniquement lorsque le decor
explique et determine les faits et les personnages. Je reprends _Eugenie
Grandet_, qui a ete mise au theatre, mais tres mediocrement; eh bien! il
faudrait que, des le lever du rideau, on se crut chez le pere Grandet;
il faudrait que les murs, que les objets ajoutassent a l'interet du
drame, en completant les personnages comme le fait la nature elle-meme.
Tel est le role des decors. Ils elargissent le domaine dramatique en
mettant la nature elle-meme au theatre, dans son action sur l'homme. On
doit les condamner, des qu'ils sortent de cette fonction scientifique,
des qu'ils ne servent plus a l'analyse des faits et des personnages.
Ainsi, M. Sarcey a raison, lorsqu'il blame la magnificence
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