le melomane le plus raffine. Et il y a, en outre, la
feerie dans l'opera, les ballets avec le nu des danseuses, les decors
avec l'eblouissement de l'eclairage. Tout cela s'adresse directement aux
sens du spectateur et ne lui demande aucun effort d'intelligence. De la
le temple superbe qu'on a bati a la musique, lorsque presque en face, a
l'autre bout d'une avenue, la litterature est en comparaison logee comme
une petite bourgeoise froide, ennuyeuse, raisonneuse, et qui serait
deplacee dans ce luxe d'entretenue. C'est le mot, on entretient la
musique en France. Rien de moins viril pour la sante intellectuelle d'un
peuple.
Devant cette disproportion des sommes consacrees a la litterature et a
la musique, il s'est donc trouve un grand nombre de personnes qui ont
reclame. Il semble juste que les subventions soient reparties plus
equitablement. Si l'on aborde le cote pratique, les resultats obtenus,
la surprise est aussi grande; car on en arrive a etablir que les
centaines de mille francs jetees dans le tonneau sans fond des theatres
lyriques, se trouvent encore insuffisantes et n'ont guere amene que des
faillites. L'Opera lui-meme, qui reste une entreprise particuliere tres
prospere, n'a plus produit de grandes oeuvres depuis longtemps et doit
vivre sur son repertoire, avec une troupe que la critique competente
declare de plus en plus mediocre. N'importe, on s'entete. Quand un
theatre lyrique croule, ce qui se presente a chaque saison, on s'ingenie
aussitot pour en ouvrir un autre. La presse entre en campagne, les
ministres se font tendres. Il nous faut des orchestres et des danseuses,
dussent-ils nous ruiner. Singulier art qu'on ne peut etayer qu'avec
des millions, plaisir si cher qu'on ne parvient pas a le donner aux
Parisiens, meme en le payant avec l'argent de tous les Francais!
Des lors, le raisonnement est simple. Pourquoi s'enteter? Pourquoi
donner des primes aux faillites? La musique tiendrait moins de place que
cela ne serait pas un mal. Je ne puis, personnellement, passer
devant l'Opera sans eprouver une sourde colere. J'ai une si parfaite
indifference pour la litterature qu'on fait la dedans, que je trouve
exasperant d'avoir loge des roulades et des ronds de jambe dans ce
palais d'or et de marbre qui ecrase la ville.
Et je me joins donc tres volontiers aux journalistes que cet etat de
choses a blesses. Qu'on partage les subventions entre la musique et la
litterature; qu'on augmente surtout la subvention de
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