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vrais s'agitaient dans des decors faux; aujourd'hui, ce sont des
personnages faux qui s'agitent dans des decors vrais." Cela est juste,
si ce n'est que les types de la tragedie et de la comedie classiques
sont vrais, sans etre reels. Ils ont la verite generale, les grands
traits humains resumes en beaux vers; mais ils n'ont pas la verite
individuelle, vivante et agissante, telle que nous l'entendons
aujourd'hui. Comme j'ai essaye de le prouver, le decor du dix-septieme
siecle allait en somme a merveille avec les personnages du theatre de
l'epoque; il manquait comme eux de particularites, il restait large,
efface, tres approprie aux developpements de la rhetorique et a la
peinture de heros surhumains. Aussi est-ce un non-sens pour moi que de
remonter les tragedies de Racine, par exemple, avec un grand eclat de
costumes et de decors.
Mais ou le critique a absolument raison, c'est lorsqu'il dit
qu'aujourd'hui des personnages faux s'agitent dans des decors vrais. Je
ne formule pas d'autre plainte, a chacune de mes etudes. L'evolution
naturaliste au theatre a fatalement commence par le cote materiel, par
la reproduction exacte des milieux. C'etait la, en effet, le cote
le plus commode. Le public devait etre pris aisement. Aussi, depuis
longtemps, l'evolution s'accomplit-elle. Quant aux personnages faux,
ils sont moins faciles a transformer que les coulisses et les toiles de
fond, car il s'agirait de trouver ici un homme de genie. Si les peintres
decorateurs et les machinistes ont suffi pour une partie de la
besogne, les auteurs dramatiques n'ont encore fait que tatonner. Et
le merveilleux, c'est que la seule exactitude dans les decors a suffi
parfois pour assurer de grands succes.
En somme, n'est-ce pas un indice bien caracteristique? Il faut etre
aveugle pour ne pas comprendre ou nous allons. Les critiques qui
se plaignent de ce souci de l'exactitude dans les decors et les
accessoires, ne devraient voir la qu'un des cotes de la question. Elle
est beaucoup plus large, elle embrasse le mouvement litteraire du siecle
entier, elle se trouve dans le courant irresistible qui nous emporte
tous au naturalisme. M. Sardou, dans les _Merveilleuses_, a voulu des
tasses du Directoire; MM. Erckmann-Chatrian ont exige, dans l'_Ami
Fritz_, une fontaine qui coulat; M. Gondinet, dans le _Club_, a demande
tous les accessoires authentiques d'un cercle. On peut sourire, hausser
les epaules, dire que cela ne rend pas les oeuvres meilleures
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