a d'autre interet pour nous que de nous renseigner sur
l'etat litteraire de nos voisins. Nous sommes, eux et nous, a des points
de vue trop differents. Jamais nous n'admettrons qu'on condamne une
oeuvre, parce que l'heroine est une femme adultere, au lieu d'etre une
bigame. Dans ces conditions, il n'y a qu'a remercier les Anglais d'avoir
fait a nos artistes un accueil si flatteur; mais il n'y a pas a vouloir
profiter une seconde des jugements qu'ils ont pu exprimer sur nos
oeuvres. Les points de depart sont trop differents, nous ne pouvons nous
entendre.
Voila ce que j'avais a dire, d'autant plus qu'un de nos critiques
declarait dernierement qu'il s'etait beaucoup regale d'un article paru
dans le _Times_ contre le naturalisme. Il faut renvoyer simplement le
redacteur du _Times_ a la lecture de Shakespeare, et lui recommander
le _Volpone_, de Ben Jonson. Que le public de Londres en reste a notre
theatre classique et a notre theatre romantique, cela s'explique par
l'impossibilite ou il se trouve de comprendre notre repertoire moderne,
etant donnes l'education et le milieu social anglais. Mais ce n'est pas
une raison pour que nos critiques s'amusent des plaisanteries du _Times_
sur une evolution litteraire qui fait notre gloire depuis Diderot.
Quant au redacteur du _Times_, il fera bien de mediter cette pensee:
Les batards de Shakespeare n'ont pas le droit de se moquer des enfants
legitimes de Balzac.
DES SUBVENTIONS
Lors de la discussion du budget, tout le monde a ete frappe des sommes
que l'Etat donne a la musique, sommes enormes relativement aux sommes
modestes qu'il accorde a la litterature. Les subventions de la
Comedie-Francaise et de l'Odeon, mises en regard des subventions des
theatres lyriques, sont absolument ridicules. Et ce n'etait pas tout,
on parlait alors de la creation de nouvelles salles lyriques, la presse
entiere s'interessait au sort des musiciens et de leurs oeuvres, il
y avait une veritable pression de l'opinion sur le gouvernement pour
obtenir de lui de nouveaux sacrifices en faveur de la musique. De la
litterature, pas un mot.
J'ai deja dit que je voyais, dans cette apotheose de l'opera chez nous,
la haine des foules contre la pensee. C'est une fatigue que d'aller a
la Comedie-Francaise, pour un homme qui a bien dine; il faut qu'il
comprenne, grosse besogne. Au contraire, a l'Opera, il n'a qu'a se
laisser bercer, aucune instruction n'est necessaire; l'epicier du coin
jouira autant que
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