litterature, aux chefs-d'oeuvre de
notre langue, a l'esprit humain. Je vois en lui le triomphe de la
sensualite et de la polissonnerie publiques. Certes, je n'entends pas
me poser en moraliste; au fond, toute decomposition m'interesse. Mais
j'estime qu'un peuple qui eleve un pareil temple a la musique et a la
danse, montre une inquietante lachete devant la pensee.
IV
Nos artistes de la Comedie-Francaise viennent de donner a Londres une
serie de representations. Le succes d'argent et de curiosite parait
indiscutable. On a publie des chiffres qui sont vrais sans doute. La
Comedie-Francaise a fait salle comble tous les soirs. C'est deja la un
fait caracteristique. J'ai vu une troupe anglaise jouer dans un theatre
de Paris; la salle etait vide, et les rares spectateurs pouffaient de
gaiete. Pourtant, la troupe donnait du Shakespeare. Il est vrai qu'a
part deux ou trois acteurs, les autres etaient bien mediocres. Mais
l'Angleterre pourrait nous envoyer ses meilleurs comediens, je crois que
Paris se derangerait difficilement pour aller les voir. Rappelez-vous
les maigres recettes realisees par Salvini. Pour nous, les theatres
etrangers n'existent pas, et nous sommes portes a nous egayer de ce qui
n'est point dans le genie de notre race. Les Anglais viennent donc de
nous donner un exemple de gout litteraire, soit que notre repertoire
et nos comediens leur plaisent reellement, soit qu'ils aient voulu
simplement montrer de la politesse pour la litterature d'un grand peuple
voisin.
Est ce bien, a la verite, un gout litteraire qui a empli chaque soir la
salle du Gaiety's Theatre? C'est ici que des documents exacts seraient
necessaires. Mais, avant d'etudier ce point, je dois dire que je n'ai
jamais compris la querelle qu'on a cherchee a la Comedie-Francaise,
lorsqu'il a ete question de son voyage a Londres. J'ai lu la-dessus
des articles d'une fureur bien etrange. Les plus doux accusaient nos
artistes de cupidite et leur deniaient le droit de passer la Manche.
D'autres prevoyaient un naufrage et se lamentaient. Avouez que
cela parait comique aujourd'hui. Une seule chose etait a craindre:
l'insucces, des salles vides, une diminution de prestige. Mais,
la-dessus, on pouvait etre tranquille; les recettes etaient quand meme
assurees, ce qui suffisait; car, pour le veritable effet produit par
les oeuvres et par les interpretes, il etait a l'avance certain, je
le repete, qu'on ne saurait jamais exactement a quoi s'en tenir. L
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