au dela des
fortifications. Les allusions ne portent plus, la fleur parisienne se
fane, les pieces ne gardent que leur carcasse maigre. Des lors, il est
naturel qu'elles deplaisent a des gens qui les jugent pour leur merite
absolu.
Il ne faut donc pas croire a une admiration passive des provinciaux dans
nos theatres. S'il est tres vrai qu'ils s'y portent en foule, soyez
certains qu'ils reservent leur libre jugement. La curiosite les pousse,
ils veulent epuiser les plaisirs de Paris; mais ecoutez-les quand ils
sortent, et vous verrez qu'ils se prononcent tres carrement, qu'ils
ont trois fois sur quatre des airs dedaigneux et faches, comme si l'on
venait de les prendre a quelque attrape-nigauds.
Un autre fait que j'ai constate et qui est tres sensible en ce moment,
c'est la passion de la province pour les theatres lyriques. Un
provincial qui se hasardera a passer une soiree a la Comedie-Francaise
ira trois et quatre fois a l'Opera. Je veux bien admettre que ce soit
reellement la musique qui souleve une si belle passion. Mais encore
faut-il expliquer les circonstances qui entretiennent et qui accroissent
chaque jour un pareil mouvement. Nous ne sommes pas une nation assez
melomane pour qu'il n'y ait point a cela, en dehors de la musique, des
particularites determinantes.
La province va en masse a l'Opera pour une des raisons que j'ai dites
plus haut. Souvent les comedies, les vaudevilles lui echappent. Au
contraire, elle comprend toujours un opera. Il suffit qu'on chante, les
etrangers eux-memes n'ont pas besoin de suivre les paroles.
Je cours le risque d'ameuter les musiciens contre moi, mais je dirai
toute ma pensee. La litterature demande une culture de l'esprit, une
somme d'intelligence, pour etre goutee; tandis qu'il ne faut guere
qu'un temperament pour prendre a la musique de vives jouissances.
Certainement, j'admets une education de l'oreille, un sens particulier
du beau musical; je veux bien meme qu'on ne puisse penetrer les grands
maitres qu'avec un raffinement extreme de la sensation. Nous n'en
restons pas moins dans le domaine pur des sens, l'intelligence peut
rester absente. Ainsi, je me souviens d'avoir souvent etudie, aux
concerts populaires de M. Pasdeloup, des tailleurs ou des cordonniers
alsaciens, des ouvriers buvant beatement du Beethoven, tandis que des
messieurs avaient une admiration de commande parfaitement visible. Le
reve d'un cordonnier qui ecoule la symphonie en _la_, vaut le reve d'un
e
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