telas.
D'autres articles hasardent des objections, discutent avec l'auteur,
finissent par lui promettre un bel avenir. Enfin les plus mauvais
plaident les circonstances attenuantes.
Et remarquez que le fait se passe surtout quand la piece est signee d'un
nom connu, quand il s'agit de repecher une celebrite qui se noie. Pour
les debutants, les uns sont accueillis avec une bienveillance
extreme, les autres sont echarpes sans pitie aucune. Cela tient a des
considerations dont je parlerai tout a l'heure.
Certes, je ne fais pas un proces a mes confreres. Je parle en general,
et j'admets a l'avance toutes les exceptions qu'on voudra. Mon seul
desir est d'etudier dans quelles conditions facheuses la critique se
trouve exercee, par suite des infirmites humaines et des fatalites du
milieu ou se meuvent les juges dramatiques.
Il y a donc, entre la representation d'une piece et l'heure ou l'on
prend la plume pour en parler, toute une operation d'esprit. La
piece est exaltee ou ereintee, parce qu'elle passe par les passions
personnelles du critique. La bienveillance outree a plusieurs causes,
dont voici les principales: le respect des situations acquises, la
camaraderie, nee de relations entre confreres, enfin l'indifference
absolue, la longue experience que la franchise ne sert a rien.
Le respect des situations acquises vient d'un sentiment conservateur.
On plie l'echine devant un auteur arrive, comme on la plie devant un
ministre qui est au pouvoir; et meme, s'il a une heure de betise, on la
cache soigneusement, parce qu'il n'est pas prudent de deranger les idees
de la foule et de lui faire entendre qu'un homme puissant, maitre du
succes, peut se tromper comme le dernier des pleutres. Cela affaiblirait
le principe de l'autorite. On doit veiller au maintien du respect, si
l'on ne veut pas etre deborde par les revolutionnaires. Donc, on lance
son coup de chapeau quand meme, on pousse la foule sur le trottoir
banal, en lui deguisant l'ennui de la promenade.
La camaraderie est bien forte, elle aussi. On a dine la veille avec
l'auteur dans une maison charmante; on doit dejeuner le lendemain avec
lui, chez un ancien ami de college. Tout l'hiver, on le rencontre; on
ne peut entrer dans un salon sans le voir et sans lui serrer la main.
Alors, comment voulez-vous qu'on lui dise brutalement que sa piece est
detestable? Il verrait la une trahison, on mettrait dans l'embarras tous
les braves gens qui vous recoivent l'un et l'autre.
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