la besogne est dans la passion. Si l'on ne se jetait
pas ses preferences a la tete, ou serait le plaisir, pour les juges et
pour les lecteurs? Seulement, la passion elle-meme est absente, et
le pele-mele des opinions vient uniquement du manque complet de vues
d'ensemble.
Le public est regarde comme souverain, voila la verite. Les meilleurs de
nos critiques se fient a lui, consultent presque toujours la salle avant
de se prononcer. Ce respect du public procede de la routine, de la peur
de se compromettre, du sentiment de crainte qu'inspire tout pouvoir
despotique. Il est tres rare qu'un critique casse l'arret d'une salle
qui applaudit. La piece a reussi, donc elle est bonne. On ajoute les
phrases clichees qui ont traine partout, on tire une morale a la portee
de tout le monde, et l'article est fait.
Comme il est difficile de savoir qui commence a se tromper, du public ou
de la critique; comme, d'autre part, la critique peut accuser le public
de la pousser dans des complaisances facheuses, tandis que le public
peut adresser a la critique le meme reproche: il en resulte que le
proces reste pendant et que le tohu-bohu s'en trouve augmente. Des
critiques disent avec un semblant de raison: "Les pieces sont faites
pour les spectateurs, nous devons louer celles que les spectateurs
applaudissent." Le public, de son cote, s'excuse d'aimer les pieces
sottes, en disant: "Mon journal trouve cette piece bonne, je vais la
voir et je l'applaudis." Et la perversion devient ainsi universelle.
Mon opinion est que la critique doit constater et combattre. Il lui faut
une methode. Elle a un but, elle sait ou elle va. Les succes et les
chutes deviennent secondaires. Ce sont des accidents. On se bat pour une
idee, on rapporte tout a cette idee, on n'est plus le flatteur jure
de la foule ni l'ecrivain indifferent qui gagne son argent avec des
phrases.
Ah! comme nous aurions besoin de ce reveil!
Notre theatre agonise, depuis qu'on le traite comme les courses, et
qu'il s'agit seulement, au lendemain d'une premiere representation, de
savoir si l'oeuvre sera jouee cent fois, ou si elle ne le sera que
dix. Les critiques n'obeiraient plus au bon plaisir du moment, ils
n'empliraient plus leurs articles d'opinions contradictoires. Dans la
lutte, ils seraient bien forces de defendre un drapeau et de traiter la
question de vie ou de mort de notre theatre. Et l'on verrait ainsi la
critique dramatique, des cancans quotidiens, de la preoccupation
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