Le pis est qu'il a
murmure a votre oreille:
--Je compte sur vous.
Et il peut y compter, en verite, car jamais on n'a le courage de dire
toute la verite a cet homme. Les critiques qui restent francs quand
meme, passent pour des gens mal eleves.
L'indifference absolue est un etat ou le critique arrive apres quelques
annees de pontificat. D'abord, il s'est jete dans la bataille, a mis
ses idees en avant, a livre des combats sur le terrain de chaque piece
nouvelle. Puis, en voyant qu'il n'ameliore rien, que la sottise demeure
eternelle, il se calme et prend un bel egoisme. Tout est bon, tout est
mauvais, peu importe. Il suffit qu'on boive frais et qu'on ne se fasse
pas d'ennemis. Il faut aussi ranger parmi ces beaux indifferents les
poetes et les ecrivains de grand style qui acceptent un feuilleton
dramatique. Ceux-la se moquent parfaitement du theatre. Ils trouvent
toutes les pieces abominables, odieuses. Et ils affectent un sourire de
bons princes, ils louent jusqu'aux vaudevilles ineptes, ils n'ont que
le souci de pomponner leurs phrases pour se faire a eux memes un joli
succes.
Quant a l'ereintement, il est presque toujours l'effet de la passion.
On ereinte une piece, parce qu'on est romantique, parce qu'on est
royaliste, parce qu'on a eu des pieces sifflees ou des romans vendus sur
les quais. Je repete que j'admets toutes les exceptions. Si je citais
des exemples, on m'entendrait mieux; mais je ne veux nommer personne. La
critique, si debonnaire pour les auteurs arrives, se montre tout d'un
coup enragee contre certains debutants. Ceux-la, on les massacre; et le
public, devant cette fureur, ne doit plus comprendre. C'est qu'il y a,
par derriere, une situation dont il faudrait d'abord debrouiller les
fils. Souvent, le debutant est un novateur, un garcon genant, un ours
vivant dans son trou, loin de toute camaraderie.
D'ailleurs, notre critique theatrale contemporaine a des reproches plus
graves a se faire. Ses severites et ses indulgences exagerees ne sont
que les resultats de la debandade, du manque de methode dans lequel
elle vit. Elle est la seule critique existante, puisque les journaux
dedaignent aujourd'hui de parler des livres, ou leur jettent l'aumone
derisoire d'un bout d'annonce griffonne par le redacteur des Faits
divers. Et j'estime qu'elle represente bien mal la sagacite et la
finesse de l'esprit francais. A l'etranger, on rit du tohu-bohu de ces
jugements qui se dementent les uns les autres, et
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