ffamation. Les lecteurs ne
sont pas accoutumes a se voir dans un miroir fidele, et ils crient au
mensonge et a la cruaute.
Les lecteurs et les spectateurs s'habitueront, voila tout. Nous avons
pour nous la force de l'eternelle moralite du vrai. La besogne du siecle
est la notre. Peu a peu, le public sera avec nous, lorsqu'il sentira le
vide de cette litterature alambiquee, qui vit de formules toutes
faites. Il verra que la veritable grandeur n'est pas dans un etalage de
dissertations morales, mais dans l'action meme de la vie. Rever ce qui
pourrait etre devient un jeu enfantin, quand on peut peindre ce qui est;
et, je le dis encore, le reel ne saurait etre ni vulgaire ni honteux,
car c'est le reel qui a fait le monde. Derriere les rudesses de nos
analyses, derriere nos peintures qui choquent et qui epouvantent
aujourd'hui, on verra se lever la grande figure de l'Humanite, saignante
et splendide, dans sa creation incessante.
LA CRITIQUE ET LE PUBLIC
I
Il faut que je confesse un de mes gros etonnements. Quand j'assiste a
une premiere representation, j'entends souvent pendant les entr'actes
des jugements sommaires, echappes a mes confreres les critiques. Il
n'est pas besoin d'ecouter, il suffit de passer dans un couloir; les
voix se haussent, on attrape des mots, des phrases entieres. La, semble
regner la severite la plus grande. On entend voler ces condamnations
sans appel: "C'est infect! c'est idiot! ca ne fera pas le sou!"
Et remarquez que les critiques ne sont que justes. La piece est
generalement grotesque. Pourtant, cette belle franchise me touche
toujours beaucoup, parce que je sais combien il est courageux de dire
ce qu'on pense. Mes confreres ont l'air si indigne, si exaspere par le
supplice inutile auquel on les condamne, que les jours suivants j'ai
parfois la curiosite de lire leurs articles pour voir comment leur bile
s'est epanchee. Ah! le pauvre auteur, me dis-je en ouvrant les journaux,
ils vont l'avoir joliment accommode! C'est a peine si les lecteurs
pourront en retrouver les morceaux.
Je lis, et je reste stupefait. Je relis pour bien me prouver que je ne
me trompe pas. Ce n'est plus le franc parler des couloirs, la verite
toute crue, la severite legitime d'hommes qu'on vient d'ennuyer et qui
se soulagent. Certains articles sont tout a fait aimables, jettent,
comme on dit, des matelas pour amortir la chute de la piece, poussent
meme la politesse jusqu'a effeuiller quelques roses sur ces ma
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